Noël s'approche à grands pas, suivi de près par l'existentielle question : «Que mettre au pied de l'arbre du fantasticovore compulsif ?» Cette année, la réponse est peut être à chercher du côté des «Moutons Électriques» qui éditent «Créatures ! Les monstres des séries télé» . Un recensement littéraire du bestiaire cathodique en compagnie des animateurs du blog «Des Séries et des hommes»: la vidéothécaire Amandine Prié et le réalisateur scénariste Joël Bassaget. 220 pages et des brouettes où se côtoient spectres, suceurs de sang, lycanthropes, morts vivants, extraterrestres, robots... Et tout ce que la petite lucarne compte de créatures échappées le temps d'un épisode ou d'une saison à l'imaginaire collectif. Ecranbis.com a remonté cette monstrueuse parade jusqu'à l'un de ses auteurs. Chronique, impressions de lecture et rencontre avec Joël Bassaget...
Coup du sort ou loi des séries, c'est au moment où votre serviteur était plongé dans le dossier «l'horreur envahit la télé» publié dans le vénérable Mad Movies n°255, qu'un suppôt de la poste apparût devant chez lui. Le regard vide, il déposa sans délicatesse aucune, un curieux paquet blanc dans la boite à lettres avant de disparaître dans le brouillard, chevauchant un étrange cheval métallique et fumant. Cadeau du ciel ou colis piégé ? La prudence aurait sans doute été de mise si la curiosité, insidieux penchant de l'âme, ne l'avait emporté. Les escaliers dévalés, le chat enjambé, les clefs trouvées et l'emballage frénétiquement déchiré, j'accédais à l'étrange sombre et sanguinolent Graal que constitue «Créatures». Alors bien sûr pour le cinévore maladif moyen que je suis, le rapport à l'art télévisuel est de nature complexe. Du moins tient-il plus du «Je t'aime moi non plus» de Gainsbourg que de «l'été indien».Car oui, le cinéphile, celui qui célèbre à chaque visionnage, à chaque chronique son amour du grand écran, n'est qu'un odieux personnage collectionnant les coups d'un soir. 90 minutes de plaisir et au revoir…. ou plutôt adieu, je ne t'oublierai pas ma bobine adorée mais d'autres pellicules m'appellent ou j'ai d'autres écrans à fouetter.
La série, tient, elle, du mariage. Il faut apprendre à se connaître, avoir envie de se revoir, chaque semaine si ce n'est chaque jour. Prendre garde à la routine, entretenir le feu, se quitter de longs mois pour se manquer éperdument. Il faut parfois subir ses changements d'humeur, ses spin off qui ne respectent rien.. ( Ah les enfants des autres) et partager cette amour déjà à sens unique avec des millions de spectateurs. L'addition a de quoi faire fuir les plus enclins des payeurs comme le plus transis des amoureux. Mais allez savoir pourquoi, bien rare est sur cette terre celui ou celle qui ne s'est pas un jour épris d'une passion feuilletonnesque. Attachement télévisuel incontrôlable capable de faire voler en éclat les certitudes de l'amateur de fantastique, persuadé que la petite lucarne, en voie royale de l'édulcoration et de la banalisation forcée, est une création hautement satanique. C'est donc avec un intérêt plus que particulier que l'on se plonge dans ce que ses auteurs décrivent non pas comme un catalogue mais comme une fête.
Argument recevable, votre honneur. Ce
décryptage mi thématique mi chronologique a des airs de banquet
fantastique et de monstrueuse bringue. Le discours amoureux
n'empêchant cependant pas d'effeuiller la mariée, «Créatures» se
devait de dépasser la célébration primaire. Amandine Prié et
Joël Bassaget ont donc passé le bal à regarder derrière les
masques, livrant pour chacune de nos effrayantes ou drolatiques icônes
de la culture Bis, un point de vue et une analyse. Le
résultat se dévore d'une traite bien sûr... Mais pourrait fort
bien se révéler, à défaut d'une cartographie exhaustive de la
planète «Monstre» , un intéressant puits de réflexion. Une source
à laquelle le cinéphile reviendra au fil de ses visionnages et
rencontres cinémato-télévisuelles.
Rencontre avec Joël Bassaget:
Ecranbis: Ma première question brûle sans doute les lèvres des cinéphiles qui s'égarent régulièrement dans nos colonnes numériques. Votre ouvrage «Créatures !» s'attache à l'exploration de la thématique «monstres» dans le monde de la série TV ou de façon un peu plus large dans la production télévisuelle. Qu'est-ce que vous a donné envie d'aller dans cette direction particulière, celle du safari exclusivement cathodique …
J.B.: D’abord, il faut dire qu’Amandine et moi, nous sommes des fondus de séries télé. C’est notre « truc ». Ensuite, il faut bien reconnaître que la télévision, et particulièrement la télévision américaine, est un fantastique réceptacle où tous les concepts finissent par être « recyclés ». Littérature, Comics, Cinéma, Théâtre, Radio… La télévision a toujours puisé dans les autres médias pour nourrir son flux permanent de fictions. En quelques décennies, elle est devenue le média dominant et la première source de divertissement.
Tous ceux qui découvrent notre ouvrage sont d’abord surpris par ce thème, mais il suffit de quelques secondes pour que leur vienne à l’esprit des tas de titres et de personnages. Parce que les monstres sont partout à la télévision et particulièrement à la télévision américaine qui fête en fanfare chaque année le parade des créatures d’Halloween. Des dessins animés aux sitcoms en passant par les séries policières, les scénaristes ont toujours eu recours à des créatures fantastiques ou à des monstres, réelles ou légendaires, pour aiguiser notre attention, au moins le temps d’un épisode. Les jeunes téléspectateurs qui s’endormaient hier avec une peluche de dragon ou de licorne affichent aujourd’hui dans leur chambre des posters de vampires et de zombies qui sont encore les héros de leurs séries préférées.
D’autres avant nous ont établi des cartographies des monstres de cinéma, des créatures qui peuplent les contes et légendes… Il était temps de jeter un regard sur ces mêmes créatures dans l’univers des fictions télévisées.
Ecranbis: N'y a-t-il pas finalement quelque chose de très paradoxal, ou de contre nature dans le mariage du monstre et de la télévision ? Ne pourrait-on pas dire que la production purement télévisuelle est tiraillée entre la dimension spectaculaire de la créature, l'extraordinaire de son apparition et sa quête d'audience. Quête qui la conduit systématiquement à se tourner vers le plus grand public, et par conséquent à l'édulcoration... On pourrait dire qu'avec le Thriller de Landis, le zombie est entré au cœur des foyers, il y a gagné une place dans la culture pop, mais n'y a-t-il pas laissé également quelques plumes ?
J.B.:La télévision américaine est plus souvent le lieu de la reconnaissance que de la révolution. Le fait que les créatures monstrueuses l’aient inspirée, c’est d’abord la preuve qu’elles font partie intégrante de la culture populaire contemporaine, qu’elles ne sont pas seulement des figurants de contes de fée ou les icônes d’une secte de geeks. Ce sont des figures reconnaissables par tous et donc utilisables par un média de masse.
Alors, bien sûr, chaque fois que l’on veut exprimer un concept pour le grand public, on altère le modèle original, on le trahit même parfois et c’est particulièrement vexant pour tous les « connaisseurs ». Mais on ne peut pas nier non plus les bienfaits de la popularité et de la démocratisation de ces concepts. C’est ainsi qu’ils font leur chemin et reviennent finalement vers le modèle original.
La télévision a tout de même aussi « dépoussiéré » certains concepts. Par exemple, avant Bewitched (Ma sorcière bien aimée), les sorcières étaient presque uniquement représentées comme des vieilles femmes méchantes et pleines de verrues (cf la sorcière de La belle au bois dormant de Disney). De la même manière, en surfant sur le succès de la « bit-lit », la télévision a contribué à dépasser définitivement l’image du vampire portant une cape et dormant au fond d’un cercueil au fond d’un château poussiéreux.
Depuis une quinzaine d’années, les chaines spécialisées et les chaines câblées cherchant à satisfaire leur public « averti » s’affranchissent du « grand public » et produisent des œuvres moins consensuelles, plus proches des références du genre et surtout plus spectaculaires.
Ecranbis: Il y a également quelque chose de structurel dans la série qui diffère profondément du long métrage. Ce qui fonctionne dans les griffes de la nuit de Craven, pour prendre un exemple, c'est la découverte progressive du croquemitaine aux ongles d'acier qu'est Freddy, l'intensification de ses apparitions. Fatalement, les séquelles sont tombées dans la redite, le mécanisme puis dans l'essoufflement. La série est-elle par nature un terrain miné pour la créature et le créateur, c'est à dire le scénariste que vous êtes ?
J.B.:C’est effectivement le premier écueil du « cinéma de genre » qui affecte aussi les séries qui revendiquent un modèle ou une appartenance à un genre particulier. Il y a des points de passage obligatoires du récit et des « usages » convenus qu’il faut sans cesse tenter de renouveller ou de détourner pour ne pas tomber dans la répétition ou pire : l’imitation.
Les séries judiciaires sont friandes de coup de théâtres, les séries policières ne sauraient se passer de poursuites, les westerns exigent des fusillades… etc… Et dans le domaine du fantastique et de l’horreur, sans doute plus que dans les autres genres, il y a aussi des « recettes », des traitements obligés, même des codes à respecter. C’est pour cela que ce genre a été si souvent (et si facilement) parodié et c’est pour cela qu’à toutes les époques, après chaque succès populaire, les adeptes, comme les critiques ont agité le spectre de la répétition, d’un affaiblissement du genre ou toute autre perversion. Mais force est de constater que les générations d’auteurs et de réalisateurs qui se succèdent ont toujours été (dans des proportions certes variables) attirés par ce genre, fascinés même.
Pour continuer à « faire de l’effet » les créatures ne peuvent plus jouer seulement sur leur aspect, leur sauvagerie ou leur cruauté, elles doivent nous atteindre « intimement », venir toucher nos angoisses et nos fantasmes. Et chaque époque générant ses peurs et ses espoirs, les créatures monstrueuses adaptent leur menace à l’époque qu’ils veulent faire trembler. Par exemple, de nos jours, plus personne n’imagine que l’on va découvrir un gorille géant sur une île inconnue, mais tout le monde est bien conscient qu’un virus microscopique peut décimer l’humanité en quelques mois.
Dans le cadre particulier de la série, la répétition a toujours été un principe. En plus des personnages récurrents, on répète les situations, les histoires et même les dialogues d’une série à l’autre. Mais finalement, dans l’univers du feuilleton, comme dans le conte d’ailleurs, ça n’a pas vraiment d’importance. C’est la façon de raconter ces histoires qui compte, le talent que l’on déploie pour jouer sur les références des téléspectateurs, tourner au bon moment une situation convenue ou un dialogue attendu.
Ecranbis: Vous évoquez aussi les « Direct To Vidéo » et les monstres qui traversent les efforts estampillés « Nu Image », « Ufo Film », « The Asylum »...Pour vous ces « œuvres » purement exploitatives appartiennent-elles complètement à l'univers de la petite lucarne ? Qu'est ce qui fait aujourd'hui la différence entre une œuvre cinématographique et une œuvre télévisuelle ? Existe-t-il un monstre de télévision et un monstre de cinéma ?
J.B.:C’est aussi ce que nous montrons dans cet ouvrage : la télévision a transformé les créatures qu’elle a emprunté à la littérature, aux comics et au cinéma. Elle les a adapté à ses besoins et à ses moyens et, au final, si elle n’a pas créé de nouveaux monstres, elle a assurément au moins créé des sous-espèces. Pour l’anecdote, une série comme The Munsters (Les monstres) nous apprend que l’union d’un Frankenstein et d’une vampire donne un loup-garou (!).
En fait, les créatures de la télévision et celles du cinéma, même lorsqu’elles appartiennent à la même espèce, n’évolue pas sur le même plan. Tandis que la créature de cinéma s’exprime sur 90 minutes, les créatures de télévision sont conçues pour vivre le plus longtemps possible, des aventures les plus nombreuses possibles. Tout en permettant d’exploiter bien plus profondément leur psychologie et leurs motivations, cela implique aussi d’étirer certains dilemmes, de retarder des échéances. C’est pourquoi le thème de la « malédiction » a toujours été très utilisé dans les séries fantastiques de la télévision : il laisse un espoir, il trace un chemin vers une fin annoncée, mais qu’on peut retarder (ou précipiter) à loisir.
Ecranbis: On le voit, le genre et la créature n'impriment pratiquement plus le grand écran et ont trouvé refuge dans le DTV... Cela coïncide avec un déplacement significatif des frontières du « montrable » ( J'allais dire du « Monstrable ») à la télévision. Quand on voit Dead Set, on se dit : Mon dieu que le monde changé … La petite lucarne est-elle l'avenir du monstre ? Et peut être même celle du genre ?
J.B.: Hélas, c’est peu probable. Certes, il y aura encore et toujours à la télévision des histoires de monstres et des récits incluant des créatures plus ou moins fantastiques. Mais il serait hasardeux d’imaginer que la télévision sera l’avenir du genre. A vrai dire, la télévision peut difficilement être l’avenir de quoi que ce soit car c’est un média qui évolue avec son temps et se soumet à des pressions diverses (économiques, commerciales, industrielles, sociales, politiques…) qui font que, comme une girouette, elle tourne avec le vent. Rappelons-nous que les westerns qui étaient les séries phares des années 1950, adorées de tous et prisées par toutes les chaînes à toutes les heures ont aujourd’hui presque totalement disparu du paysage télévisuel.
La télévision, toutefois, joue un rôle essentiel dans l’évolution de tous les autres arts narratifs : elle découvre de jeunes auteurs (ou se contente de les faire manger, ce qui est déjà pas mal), forme de jeunes réalisateurs et techniciens, leur permet de se perfectionner, d’explorer, d’expérimenter parfois. Et là, oui, elle fait évoluer le genre, comme tous les autres d’ailleurs.
Ecranbis: La perception de la série par le public et par les chaînes de Tv a beaucoup évolué ces dernières années. On les retrouve en prime time par exemple à des moments jadis réservés aux seules œuvres cinématographiques. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
J.B.:Je pense que c’est avant tout un phénomène démographique. Les adultes d’aujourd’hui, parents et grands-parents, consommateurs prisés des annonceurs, sont les fans des « B Movies » d’hier ou simplement des amateurs d’un genre qui a souvent été montré du doigt, accusé et que, durant longtemps, il fallait apprécier entre connaisseurs. Aujourd’hui, c’est la culture de ces adultes consommateurs qui est flattée par les chaines de télévision. Elle culture qui peut s’afficher sans rougir en prime time, parce que ces adultes ont déjà transmis à leurs enfants une partie de cette culture à leurs enfants, qui se la sont appropriés à leur tour.
Il y a eu aussi entretemps un changement radical du mode de « consommation » des séries. Alors qu’il y a encore vingt ans on essayait de rassembler une famille devant un programme, les modes de diffusion permettent aujourd’hui à chacun et chacune de regarder (à peu près) ce qu’il veut quand il veut.
La censure demeure et les œuvres les plus violentes sont encore diffusées à des heures tardives précédées d’avertissements sur leur contenu, mais il est amusant de constater que ces mêmes séries s’affichent à la une des magazines ou sur des posters dans les rues, cette fois sans aucune restriction. Là encore, c’est la marque de la « démocratisation » des créatures monstrueuses. Même si tout le monde ne peut pas ou ne veut pas les regarder, on peut en parler à tous, parce que tout le monde sait de quoi il s’agit.
Ecranbis: Vous citez très souvent la série Buffy contre les vampires, qui est, à elle seule, une belle parade de monstres... En quoi cette série est-elle remarquable ?
J.B.: En fait, cette série est plus que remarquable, c’est un point de passage obligé. Tout a été dit et redit sur cette série et ce n’est pas du snobisme de la considérer comme « incontournable ». Son importance ou son influence dépassent largement le seul cadre du genre fantastique. C’est un superbe feuilleton de télévision, bien écrit, plein d’audaces et qui fait évoluer ses personnages. C’est un récit totalement fantastique et à la fois profondément humain. En France, la série est arrivée à point nommée pour ravir toute une génération de téléspectateurs qui en garde un souvenir quasi religieux parce que, pour eux, c’était aussi sacrément nouveau !
Dans le cadre d’un essai francophone sur les créatures de télévision, il était hors de question de ne pas évoquer cette série et même d’y revenir plusieurs fois.
Ecranbis: Vous avez co-écrit «Créatures» avec Amandine Prié... Comment s'est passé ce travail à 4 mains ?
J.B.: Très bien. C’était important aussi d’aborder le sujet avec deux sensibilités et deux cultures des monstres différentes. Je suis un gros fan de robots, de créatures extraterrestres et d’animaux monstrueux, mais je suis moins sensible aux monstres qui déploient une « psychologie ». C’était également passionnant de croiser un regard féminin et un regard masculin sur la monstruosité, indispensable aussi dans le cadre des séries, qui sont appréciées, et même adorées, autant par les hommes que par les femmes. Et puis, de notre collaboration sur le blog est née une complicité qui a grandement facilité la tache.
Ecranbis: Ce mois-ci sortent en DVD les intégrales de Manimal et Tonnerre mécanique, quelle série Tv attendez -vous encore impatiemment en zone 2 ?
J.B.: Il y a cette série de 1987, Werewolf (La Malédiction du loup-garou) qui est désormais quasiment introuvable et que j’aimerais bien voir sur les rayons, c’est une chouette série qui mériterait d’être redécouverte.
Ecranbis: Des projets après «Créatures» ?
J.B.: Toujours ! Mais d’abord, poursuivre le travail que nous avons entamé sur le blog Des séries et des hommes c’est à dire continuer à regarder les séries par tous les bouts de toutes les lorgnettes. Ensuite, effectivement, j’ai d’autres projets de publications. Mais un livre, et à plus forte raison un essai sur les séries télé, c’est aussi et surtout la rencontre avec un éditeur qui peut accompagner le projet. Dans le cas de « Créatures », nous avons eu la chance et l’honneur de voir notre projet choisi par Les moutons électriques pour leur collection La bibliothèque des miroirs. Ils ont fait un superbe travail de maquette et d’iconographie et ont réalisé un très beau livre dont nous sommes très fiers. Alors, du coup, c’est l’occasion parfaite de lancer un appel du pied à tous les éditeurs qui ont du courage et de l’envie. Et puisqu’on en est à la « séquence émotion », j’en profite pour remercier chaleureusement Écran Bis de me recevoir dans ses colonnes.
J.B.: D’abord, il faut dire qu’Amandine et moi, nous sommes des fondus de séries télé. C’est notre « truc ». Ensuite, il faut bien reconnaître que la télévision, et particulièrement la télévision américaine, est un fantastique réceptacle où tous les concepts finissent par être « recyclés ». Littérature, Comics, Cinéma, Théâtre, Radio… La télévision a toujours puisé dans les autres médias pour nourrir son flux permanent de fictions. En quelques décennies, elle est devenue le média dominant et la première source de divertissement.
Tous ceux qui découvrent notre ouvrage sont d’abord surpris par ce thème, mais il suffit de quelques secondes pour que leur vienne à l’esprit des tas de titres et de personnages. Parce que les monstres sont partout à la télévision et particulièrement à la télévision américaine qui fête en fanfare chaque année le parade des créatures d’Halloween. Des dessins animés aux sitcoms en passant par les séries policières, les scénaristes ont toujours eu recours à des créatures fantastiques ou à des monstres, réelles ou légendaires, pour aiguiser notre attention, au moins le temps d’un épisode. Les jeunes téléspectateurs qui s’endormaient hier avec une peluche de dragon ou de licorne affichent aujourd’hui dans leur chambre des posters de vampires et de zombies qui sont encore les héros de leurs séries préférées.
D’autres avant nous ont établi des cartographies des monstres de cinéma, des créatures qui peuplent les contes et légendes… Il était temps de jeter un regard sur ces mêmes créatures dans l’univers des fictions télévisées.
Ecranbis: N'y a-t-il pas finalement quelque chose de très paradoxal, ou de contre nature dans le mariage du monstre et de la télévision ? Ne pourrait-on pas dire que la production purement télévisuelle est tiraillée entre la dimension spectaculaire de la créature, l'extraordinaire de son apparition et sa quête d'audience. Quête qui la conduit systématiquement à se tourner vers le plus grand public, et par conséquent à l'édulcoration... On pourrait dire qu'avec le Thriller de Landis, le zombie est entré au cœur des foyers, il y a gagné une place dans la culture pop, mais n'y a-t-il pas laissé également quelques plumes ?
J.B.:La télévision américaine est plus souvent le lieu de la reconnaissance que de la révolution. Le fait que les créatures monstrueuses l’aient inspirée, c’est d’abord la preuve qu’elles font partie intégrante de la culture populaire contemporaine, qu’elles ne sont pas seulement des figurants de contes de fée ou les icônes d’une secte de geeks. Ce sont des figures reconnaissables par tous et donc utilisables par un média de masse.
Alors, bien sûr, chaque fois que l’on veut exprimer un concept pour le grand public, on altère le modèle original, on le trahit même parfois et c’est particulièrement vexant pour tous les « connaisseurs ». Mais on ne peut pas nier non plus les bienfaits de la popularité et de la démocratisation de ces concepts. C’est ainsi qu’ils font leur chemin et reviennent finalement vers le modèle original.
La télévision a tout de même aussi « dépoussiéré » certains concepts. Par exemple, avant Bewitched (Ma sorcière bien aimée), les sorcières étaient presque uniquement représentées comme des vieilles femmes méchantes et pleines de verrues (cf la sorcière de La belle au bois dormant de Disney). De la même manière, en surfant sur le succès de la « bit-lit », la télévision a contribué à dépasser définitivement l’image du vampire portant une cape et dormant au fond d’un cercueil au fond d’un château poussiéreux.
Depuis une quinzaine d’années, les chaines spécialisées et les chaines câblées cherchant à satisfaire leur public « averti » s’affranchissent du « grand public » et produisent des œuvres moins consensuelles, plus proches des références du genre et surtout plus spectaculaires.
Ecranbis: Il y a également quelque chose de structurel dans la série qui diffère profondément du long métrage. Ce qui fonctionne dans les griffes de la nuit de Craven, pour prendre un exemple, c'est la découverte progressive du croquemitaine aux ongles d'acier qu'est Freddy, l'intensification de ses apparitions. Fatalement, les séquelles sont tombées dans la redite, le mécanisme puis dans l'essoufflement. La série est-elle par nature un terrain miné pour la créature et le créateur, c'est à dire le scénariste que vous êtes ?
J.B.:C’est effectivement le premier écueil du « cinéma de genre » qui affecte aussi les séries qui revendiquent un modèle ou une appartenance à un genre particulier. Il y a des points de passage obligatoires du récit et des « usages » convenus qu’il faut sans cesse tenter de renouveller ou de détourner pour ne pas tomber dans la répétition ou pire : l’imitation.
Les séries judiciaires sont friandes de coup de théâtres, les séries policières ne sauraient se passer de poursuites, les westerns exigent des fusillades… etc… Et dans le domaine du fantastique et de l’horreur, sans doute plus que dans les autres genres, il y a aussi des « recettes », des traitements obligés, même des codes à respecter. C’est pour cela que ce genre a été si souvent (et si facilement) parodié et c’est pour cela qu’à toutes les époques, après chaque succès populaire, les adeptes, comme les critiques ont agité le spectre de la répétition, d’un affaiblissement du genre ou toute autre perversion. Mais force est de constater que les générations d’auteurs et de réalisateurs qui se succèdent ont toujours été (dans des proportions certes variables) attirés par ce genre, fascinés même.
Pour continuer à « faire de l’effet » les créatures ne peuvent plus jouer seulement sur leur aspect, leur sauvagerie ou leur cruauté, elles doivent nous atteindre « intimement », venir toucher nos angoisses et nos fantasmes. Et chaque époque générant ses peurs et ses espoirs, les créatures monstrueuses adaptent leur menace à l’époque qu’ils veulent faire trembler. Par exemple, de nos jours, plus personne n’imagine que l’on va découvrir un gorille géant sur une île inconnue, mais tout le monde est bien conscient qu’un virus microscopique peut décimer l’humanité en quelques mois.
Dans le cadre particulier de la série, la répétition a toujours été un principe. En plus des personnages récurrents, on répète les situations, les histoires et même les dialogues d’une série à l’autre. Mais finalement, dans l’univers du feuilleton, comme dans le conte d’ailleurs, ça n’a pas vraiment d’importance. C’est la façon de raconter ces histoires qui compte, le talent que l’on déploie pour jouer sur les références des téléspectateurs, tourner au bon moment une situation convenue ou un dialogue attendu.
Ecranbis: Vous évoquez aussi les « Direct To Vidéo » et les monstres qui traversent les efforts estampillés « Nu Image », « Ufo Film », « The Asylum »...Pour vous ces « œuvres » purement exploitatives appartiennent-elles complètement à l'univers de la petite lucarne ? Qu'est ce qui fait aujourd'hui la différence entre une œuvre cinématographique et une œuvre télévisuelle ? Existe-t-il un monstre de télévision et un monstre de cinéma ?
J.B.:C’est aussi ce que nous montrons dans cet ouvrage : la télévision a transformé les créatures qu’elle a emprunté à la littérature, aux comics et au cinéma. Elle les a adapté à ses besoins et à ses moyens et, au final, si elle n’a pas créé de nouveaux monstres, elle a assurément au moins créé des sous-espèces. Pour l’anecdote, une série comme The Munsters (Les monstres) nous apprend que l’union d’un Frankenstein et d’une vampire donne un loup-garou (!).
En fait, les créatures de la télévision et celles du cinéma, même lorsqu’elles appartiennent à la même espèce, n’évolue pas sur le même plan. Tandis que la créature de cinéma s’exprime sur 90 minutes, les créatures de télévision sont conçues pour vivre le plus longtemps possible, des aventures les plus nombreuses possibles. Tout en permettant d’exploiter bien plus profondément leur psychologie et leurs motivations, cela implique aussi d’étirer certains dilemmes, de retarder des échéances. C’est pourquoi le thème de la « malédiction » a toujours été très utilisé dans les séries fantastiques de la télévision : il laisse un espoir, il trace un chemin vers une fin annoncée, mais qu’on peut retarder (ou précipiter) à loisir.
Ecranbis: On le voit, le genre et la créature n'impriment pratiquement plus le grand écran et ont trouvé refuge dans le DTV... Cela coïncide avec un déplacement significatif des frontières du « montrable » ( J'allais dire du « Monstrable ») à la télévision. Quand on voit Dead Set, on se dit : Mon dieu que le monde changé … La petite lucarne est-elle l'avenir du monstre ? Et peut être même celle du genre ?
J.B.: Hélas, c’est peu probable. Certes, il y aura encore et toujours à la télévision des histoires de monstres et des récits incluant des créatures plus ou moins fantastiques. Mais il serait hasardeux d’imaginer que la télévision sera l’avenir du genre. A vrai dire, la télévision peut difficilement être l’avenir de quoi que ce soit car c’est un média qui évolue avec son temps et se soumet à des pressions diverses (économiques, commerciales, industrielles, sociales, politiques…) qui font que, comme une girouette, elle tourne avec le vent. Rappelons-nous que les westerns qui étaient les séries phares des années 1950, adorées de tous et prisées par toutes les chaînes à toutes les heures ont aujourd’hui presque totalement disparu du paysage télévisuel.
La télévision, toutefois, joue un rôle essentiel dans l’évolution de tous les autres arts narratifs : elle découvre de jeunes auteurs (ou se contente de les faire manger, ce qui est déjà pas mal), forme de jeunes réalisateurs et techniciens, leur permet de se perfectionner, d’explorer, d’expérimenter parfois. Et là, oui, elle fait évoluer le genre, comme tous les autres d’ailleurs.
Ecranbis: La perception de la série par le public et par les chaînes de Tv a beaucoup évolué ces dernières années. On les retrouve en prime time par exemple à des moments jadis réservés aux seules œuvres cinématographiques. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
J.B.:Je pense que c’est avant tout un phénomène démographique. Les adultes d’aujourd’hui, parents et grands-parents, consommateurs prisés des annonceurs, sont les fans des « B Movies » d’hier ou simplement des amateurs d’un genre qui a souvent été montré du doigt, accusé et que, durant longtemps, il fallait apprécier entre connaisseurs. Aujourd’hui, c’est la culture de ces adultes consommateurs qui est flattée par les chaines de télévision. Elle culture qui peut s’afficher sans rougir en prime time, parce que ces adultes ont déjà transmis à leurs enfants une partie de cette culture à leurs enfants, qui se la sont appropriés à leur tour.
Il y a eu aussi entretemps un changement radical du mode de « consommation » des séries. Alors qu’il y a encore vingt ans on essayait de rassembler une famille devant un programme, les modes de diffusion permettent aujourd’hui à chacun et chacune de regarder (à peu près) ce qu’il veut quand il veut.
La censure demeure et les œuvres les plus violentes sont encore diffusées à des heures tardives précédées d’avertissements sur leur contenu, mais il est amusant de constater que ces mêmes séries s’affichent à la une des magazines ou sur des posters dans les rues, cette fois sans aucune restriction. Là encore, c’est la marque de la « démocratisation » des créatures monstrueuses. Même si tout le monde ne peut pas ou ne veut pas les regarder, on peut en parler à tous, parce que tout le monde sait de quoi il s’agit.
Ecranbis: Vous citez très souvent la série Buffy contre les vampires, qui est, à elle seule, une belle parade de monstres... En quoi cette série est-elle remarquable ?
J.B.: En fait, cette série est plus que remarquable, c’est un point de passage obligé. Tout a été dit et redit sur cette série et ce n’est pas du snobisme de la considérer comme « incontournable ». Son importance ou son influence dépassent largement le seul cadre du genre fantastique. C’est un superbe feuilleton de télévision, bien écrit, plein d’audaces et qui fait évoluer ses personnages. C’est un récit totalement fantastique et à la fois profondément humain. En France, la série est arrivée à point nommée pour ravir toute une génération de téléspectateurs qui en garde un souvenir quasi religieux parce que, pour eux, c’était aussi sacrément nouveau !
Dans le cadre d’un essai francophone sur les créatures de télévision, il était hors de question de ne pas évoquer cette série et même d’y revenir plusieurs fois.
Ecranbis: Vous avez co-écrit «Créatures» avec Amandine Prié... Comment s'est passé ce travail à 4 mains ?
J.B.: Très bien. C’était important aussi d’aborder le sujet avec deux sensibilités et deux cultures des monstres différentes. Je suis un gros fan de robots, de créatures extraterrestres et d’animaux monstrueux, mais je suis moins sensible aux monstres qui déploient une « psychologie ». C’était également passionnant de croiser un regard féminin et un regard masculin sur la monstruosité, indispensable aussi dans le cadre des séries, qui sont appréciées, et même adorées, autant par les hommes que par les femmes. Et puis, de notre collaboration sur le blog est née une complicité qui a grandement facilité la tache.
Ecranbis: Ce mois-ci sortent en DVD les intégrales de Manimal et Tonnerre mécanique, quelle série Tv attendez -vous encore impatiemment en zone 2 ?
J.B.: Il y a cette série de 1987, Werewolf (La Malédiction du loup-garou) qui est désormais quasiment introuvable et que j’aimerais bien voir sur les rayons, c’est une chouette série qui mériterait d’être redécouverte.
Ecranbis: Des projets après «Créatures» ?
J.B.: Toujours ! Mais d’abord, poursuivre le travail que nous avons entamé sur le blog Des séries et des hommes c’est à dire continuer à regarder les séries par tous les bouts de toutes les lorgnettes. Ensuite, effectivement, j’ai d’autres projets de publications. Mais un livre, et à plus forte raison un essai sur les séries télé, c’est aussi et surtout la rencontre avec un éditeur qui peut accompagner le projet. Dans le cas de « Créatures », nous avons eu la chance et l’honneur de voir notre projet choisi par Les moutons électriques pour leur collection La bibliothèque des miroirs. Ils ont fait un superbe travail de maquette et d’iconographie et ont réalisé un très beau livre dont nous sommes très fiers. Alors, du coup, c’est l’occasion parfaite de lancer un appel du pied à tous les éditeurs qui ont du courage et de l’envie. Et puisqu’on en est à la « séquence émotion », j’en profite pour remercier chaleureusement Écran Bis de me recevoir dans ses colonnes.