La comtesse perverse: critique et test dvd

Alice Arno dans la comtesse perverse


Au moment même où la haute définition s'impose sur les étagères du cinévore collectionneur déviant,  une série de galettes SD que nous n'attendions pas ou plus, sont désormais à la portée des platines frenchy. Paradoxe temporel, signe d'espoir ou résultat du travail acharné de quelques irréductibles éditeurs passionnés ? Les trois mon capitaine ! Le 4 décembre prochain (et dès aujourd'hui pour les accros au cyber achat ) Artus Films offre quatre Franco rutilants à nos fiévreuses mirettes et on commence avec la comtesse perverse.


Chronique : 


A l'heure où le soleil caresse les falaises et la mer, Tom et Moira aperçoivent le corps nu d'une jeune femme, abandonnée par les vagues au sable brûlant. La belle en transe tente d'expliquer l’épreuve qu'elle vient de traverser sur une île voisine et ce, sans se douter que son providentiel auditoire connaît déjà les moindres recoins de son calvaire. Tom et Moira sont en effet les complices du conte Rador Zarrof et de sa compagne la blonde comtesse Ivana. Contre monnaie sonnante et trébuchante, ils fournissent le couple démoniaque en jeunes filles innocentes. Pauvres victimes qui seront systématiquement invitées à séjourner dans une étrange demeure, perverties et violées avant d'être lâchées à l'aube, nues et sans défense dans le nord de l'île. Prêtes à servir de gibier à une comtesse, adepte de la chasse aux femmes. Celle qui survivra jusqu'à ce que le clocher tinte sera ramenée saine et sauve sur le continent, les autres finiront en « festin » pour cannibales mondains. Alors que la belle inconnue, droguée, est prête à être renvoyée sur l’île, Zarrof envoie un message à Tom et Moira. Il est  temps pour eux de donner à nouveau corps aux fantasmes pervers de leurs maîtres. Tom appelle alors une de leur connaissance, la naïve mais peu farouche Sylvia pour l'inviter à les rejoindre au bord de l'eau...

Lina Romay dans la comtesse perverse


La production de Franco, infatigable mercenaire de la pellicule, prend dès la fin des années 60 un rythme quasi insoutenable. Neuf bobines en 1972, dix en 1973... A peine moins l'année d'après. 1974, l'année est synonyme de faste pour le fou filmant et d'excellente cuvée pour les francophiles compulsifs. Dans cette salve cinématographique, La comtesse perverse nous permet de prendre le brave Jesus en flagrant délit de Zaroffsploitation, comprenez en train d'arpenter à sa manière (était-il besoin de la préciser) l'île de The Most Dangerous Game (Les chasses du compte Zarrof en France). Le maitre dument mandaté par le producteur français Robert De Nesle, part donc tourner sa traque érotisante  en même temps ou à la suite, peu importe, de "Plaisir à trois" en Espagne. Les mains au fesses et la peur au ventre, l'entreprenant casting de cette comtesse perverse redoutant l'intervention de la police à chaque instant du tournage. Au milieu des seventies, de l'autre côté des Pyrénées, la poétique ballade, poitrine au vent n'est pas encore au goût du jour. On s'y déshabille, y compris pour les besoins du 7e art, à ses risques et périls.

howard Vernon



Certainement jugé trop inoffensif pour de l'époque, le montage initial sera remanié sur demande du producteur par Franco pour son exploitation dans les salles françaises. Notre Comtesse perverse y gagne quelques séquences additionnelles étirant significativement son runtime, mais perd par la même occasion son titre en devenant «Les croqueuses».(Aie !) Que l'on se rassure, vous visionnerez dans cette édition Artus le film dans sa version initiale (quoique que le terme est certainement abusif) bien que non exploitée. Rien ne se perd pour autant, les inserts restent eux "croquables" dans la section bonus du même disque. Cet état des lieux éditorial fait, qu'y a-t-il à voir dans ce Franco des mid-seventies ? Une belle brochette de nymphes en commençant par la blonde Alice Arno, une habituée de l'univers du cinéaste (Justine de Sade, Female Vampire, Une vierge chez les morts vivants) et du cinéma coquin en général (Règlement de compte à O.Q. Corral, L'arrière train sifflera trois fois), Tania Busselier (dont la filmo est certes moins fournie, mais présente la particularité d'être double). Et bien sûr la jeune mais déjà peu frileuse Lina, que nous ne vous ferons pas l'affront de présenter, pas plus que nous ne ne présenterons l'excellentissime Howard Vernon tant ces deux acteurs font corps à l'œuvre de Franco, voire en constituent une sorte de vocabulaire. L'étrange demeure "Minecraftienne" des Zarrofs (du pixel art avant l'heure), déjà utilisé dans "She killed in ecstasy" servira, elle, à nouveau d'écrin... 


Alice arno

Ce qui est frappant dans cette comtesse perverse, au delà de sa dimension érotico-commerciale et son défilé de belles plantes, c'est assurément son exploration sadienne de la nouvelle de Richard Connel. On appréciera d'abord le détournement saphique de la thématique originale (la comtesse est une femme qui chasse exclusivement des femmes) doublé d'une volonté de pousser le concept de chasse jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à sa justification primaire: l'acte de cannibalisme. A la simplicité du scenario répond la sophistication du mode opératoire de nos deux vicieux: gouter au plaisir de la chair avant de gouter la chair elle même. Oui, il n'est pas ici simplement question de chasser des jeunes filles et de s'en repaitre, mais au préalable de leur faire gouter à la précédente victime, puis de leur ôter toute innocence, les chasser, pour finir par les dévorer. Une véritable construction perverse et déviante. (Dont le dernier étage est dévoilé par les dernières répliques de Rador).

lina romay dans un film de jess franco


La réussite de ce franco tient également de l'imagerie qu'il développe. C'est à dire au personnage de la comtesse, nue sous son arc... Amazone blonde, improbable, perdue dans une séquence de chasse s'étirant à l'infini, projetant la péloche entière dans un trip onirico-psychédelique aux frontières de l'expérimental. Comme souvent chez Franco, il y a plusieurs films dans La comtesse perverse. Celui qu'on lui a commandé, celui qu'il a livré, celui qu'il a tourné en douce,  celui qu'il a lui même remonté, celui qu'on a vu et celui qu'on ne verra jamais... Nous voilà en tout cas face à un brillant exemple de ce qui fait la force son art, l'utilisation du cinéma d'exploitation comme un atelier d'artiste dans lequel les œuvres, thématiques et contraintes, se percutent, se croisent et se recyclent au rythme de ses obsessions , sous l'œil voyeur de sa camera érectile. 7/10


 Test technique :

La comtesse perverse est ici proposée dans son format 1.33 d'origine et dans une très belle copie accompagnée d'un seule piste mono française. On aurait pu imaginer qu'Alain Petit serait convoqué dans les bonus de chaque titre de la collection , mais ici, c'est Jean-François Rauger qui présentera le film  durant 25 captivantes minutes. Diaporama et Bandes annonce en prime, sans oublier la grosse vingtaine de minutes d'inserts évoqués dans la présente chronique.