Scalps : Critique et test DVD


«Un Ed wood qui a réussi» c'est par ces quelques mots que Laurent Aknin évoque Fred Olen Ray dans son excellent ouvrage «Cinéma Bis : 50 ans de cinéma de quartiers». La formule est amusante, mais l'étiquette est sans doute trop grossière pour coller à la peau et à la carrière d'un gosse fou de films d'horreur parti tenter sa chance de l'autre côté de l'Amérique. Olen Ray nait dans l'Ohio dans le milieu des années 50 mais passe son enfance sous l'implacable soleil de Floride. C'est d'ailleurs sur la côte Est des États Unis qu'il se lance dans deux bricolages filmiques de haut vol. The Brain Leeche et The Alien Dead. Le premier est, de la bouche même de son géniteur, «si nul» qu'il en occultera l'existence. Le second donnera véritablement, et en dépit de son insuccès (le film ne sortira qu'en vidéo) le top départ d'une improbable parade filmique, un défilé de monstres, de gros bras, de vampires, d'indiens scalpeurs, de motos futuristes, et même (c'est dire) de putes hollywoodiennes armées de tronçonneuses...

128 bobines (au moment ou j'écris ces lignes) et pas un seul un bon film aboieront les gardiens du bon goût et du cinématographiquement correct. Et si l'on pourra concéder qu'aucun effort du cinéaste n'a à ce jour fait une entrée fracassante dans l'histoire du 7e art, les films d'Olen Ray, une fois mis bout à bout constituent une véritable curiosité. Un univers bariolé, exclusivement tourné vers le divertissement. Une œuvre artisanale, aussi économique que scénaristiquement folle. Une quasi définition de la série B qui le rapproche définitivement plus d'un Roger Corman que de Edward D. Wood Jr. Certes, Fred Olen Ray n'a pas usé les bancs des écoles de cinéma, ni trainé dans les petits papiers de producteurs. Pour réaliser «The Alien Dead», il emprunte une caméra, achète pour 40 dollars de péloche, fabrique lui même un masque de monstre, hypothèque sa moto et compulse frénétiquement un guide pour apprentis cinéastes. Mais c'est ainsi, sur le tas, à coup de caméra et d'obstination, que notre homme va devenir l'un des plus solides artisans du cinéma de seconde zone, mieux, un véritable routier du bis moderne.



L'expérience acquise lors du tournage et de la distribution de «The Alien Dead» met Olen Ray face à un imparable constat. Son avenir est à quelques milliers de kilomètres, quelques heures d'avion, là où tout se passe... tout arrive... en Californie. Il quitte donc la Floride pour s'installer à Los Angeles où il alterne périodes de chômage et petits boulots. On le voit bricoler des accessoires pour Dar L'invincible, pour Vendredi 13. Le temps passe mais l'horizon reste bouché et le jeune homme songe sérieusement à rentrer au bercail. Il va toutefois tenter à nouveau sa chance, en totale indépendance, avec «Scalps». Un tournage compliqué car en plus de carences budgétaires, le directeur de la photographie, lui aussi débutant, improvise et les premières bobines se trouvent surexposées. Mais contre toute attente, le résultat va convaincre la 21st Century Film Corporation de faire gonfler «Scalps» en 35 mm et de l'exploiter sur le territoire américain en décembre 1983.

Vous lirez sans doute ci et là que «Scalps» est le quatrième film de Fred Olen Ray. Est-ce bien le cas? La réponse est tout sauf simple. Nous pourrions déjà discuter de la prise en compte de «The Brain Leeche» en raison de son runtime (55minutes) et du relatif désaveux de son géniteur... Mais c'est finalement le cas de Demented Death Farm Massacre qui a fini par créer une certaine confusion. En 1986 , notre homme rachète «Honey Bitch», obscure péloche horrifico érotique de Donn Davison, datant du début des années 70. Il engage John Caradine pour caviarder le film scènes additionnelles et fait au passage refaire la bande originale. Le film sera revendu à Continental Vidéo (pour les USA) et à la Troma (pour l'international ) sous le titre «Demented Death Farm Massacre». Certaines affiches créditant, à son grand regret, Fred Olen Ray, bon nombre de sites considèrent qu'il s'agit là de son premier jet. Par déduction, Scalps n'est donc pas son 4e mais bien son 3e film, voir même son second si l'on évacue «Brain leech» de sa filmographie. 




Resté inédit en France, Scalps va devenir un petit classique du plaisir locatif aux États Unis où le titre se trouve multi édité, parfois en double programme avec «The Slayer». Conséquence directe de cette exploitation tout azimut, il existe plusieurs montages du film. Certains rabotant des dialogues pour faire tenir 2 films une même VHS, d'autres excluant des scènes gores. Une chose est sûre, de ce côté de l'Atlantique, difficile d'y voir clair, les informations distillées sur le net par nos cousins d'Amérique étant souvent contradictoires. La firme d'Olen Ray , Retromedia mettra néanmoins tout le monde d'accord en éditant un Zone 1 proposant un montage intégral au format 1.85. En France, C'est Uncut movies qui exhumera ce joyau primitif pour le plus grand plaisir des indécrottables fans du réalisateur.



Une pépite qui nous attache au destin d'une bande d'étudiants envoyés par leur professeur dans le désert californien pour y pratiquer des fouilles archéologiques. Alors qu'ils font une halte dans une station service, ils sont épiés par Billy Ironwing, un vieil indien qui les prévient: En aucun cas, ils ne devront creuser près d'un mystérieux lieu surnommé: les arbres noirs. Mais les jeunes ne prennent pas ces recommandations au sérieux. Arrivés sur place, ils installent leur campement et commencent à déterrer des objets ancestraux. Des événements inexplicables ne tardent pas à se produire. Du sang suinte d'une des vieilles coupes indiennes, des chants et des percussions semblent sortir de terre et petit à petit le jeune Randy est possédé par l'esprit de Griffe noire (Black Claw), un indien mort il y a une centaine d'années et tristement célèbre pour avoir pratiqué la magie noire.

Souvent et bizarrement rapproché de «la colline à des yeux» (peut être à cause de son décor désertique), Scalps doit sans doute beaucoup plus à Evil dead, sorti deux ans plus tôt sur les écrans américains qu'au film de Craven. Il est même pratiquement impossible de faire l'impasse sur les similitudes entre Scalps et l'effort de Sam Raimi. Nous aurons droit à une longue séquence de jeunes en voiture, des chants tribaux enregistrés au magnétophone, la thématique de la possession et la même dose d'amateurisme réjouissant. Plus étonnante est sans doute la présence de séquences glauques habillées d'une musique omniprésente (allant jusqu'à occulter la prise son). Olen Ray, un Nobert Moutier américain ? Y frôle-t-on l'expérimental? Une chose est sûre l'ambiance bizarro-malsaine qui habille Scalps repose en partie sur ses artifices réalisationnels, aussi maladroits peuvent-il paraître. Mais ce qui frappe vraiment lors du visionnage de ces quelques 80 minutes, c'est que l'on y pressent déjà, à l'état embryonnaire, tout ce qui va faire la qualité du cinéma d'Olen Ray. Notre sympathique Fred sait instinctivement raconter les histoires avec des trois bouts de ficelle et surtout caviarder sa bobine de scènes aptes à imprimer l'imaginaire. (dont sont extraites les photos qui ont longtemps trainé dans les pages de la presse spécialisée et fait saliver des générations de cinéphiles). Le secret ? Olen Ray ne cherche au fond qu'à faire un film qu'il aurait lui même envie de voir... 


 

Le casting renferme, lui aussi, quelques surprises pour le cinéphile averti. Le professeur n'est autre que Kirk Alyn, le premier interprète de Superman (il s'agira d'ailleurs de sa dernière apparition au cinéma). Olen Ray offre également un rôle clin d'œil à Mr Science fiction, l'immentissime Forrest J Ackerman, fondateur du magazine Famous Monsters of Film Land et créateur du personnage Vampirella. Ce dernier ramènera dans ses bagages une certaine Caroll Borland dont le fait de gloire fut d'interpréter la fille de Bela Lugosi dans la marque du vampire. La plupart des jeunes comédiens du film ne feront, eux, pratiquement pas carrière ou auront une nouvelle chance dans les films suivants d'Olen Ray (Biohazard, The tomb). Deux sortent cependant du lot, Richard Hench qui interprète Randy et qu'on retrouvera dans l'invasion des cocons (Deep Space), Starslammer ou dans l'amusant APEX de P.J. Roth  et la belle Jo Anne Robinson, excellente actrice qui étrangement ne tournera plus avant le début de ce nouveau millénaire.

Scalps n'est sans doute pas un grand film de cinéma mais plutôt une œuvre brute, primitive une véritable pièce d'archéologie dans la filmographie de Fred Olen Ray, et, par conséquent, un passage obligé de la compréhension de son parcours. Les fans peuvent donc se jeter sur les quelques éditions limitées encore en stock chez Uncut movies (la galette n'a été pressée qu'à 1000 exemplaires) avant qu'elles ne disparaissent à jamais dans les limbes du cinéma bis.

Petite anecdote, la fin du générique annonce fièrement pour l'été suivant SCALPS II: THE RETURN OF D.J... Séquelle qui ne verra jamais le jour... 


Le disque:

Scalps est présenté pour la toute première fois en Europe dans une version intégrale et dans un format 1.66. La qualité de copie fluctue pas mal laissant penser que le master a été constitué à partir de plusieurs sources. Le tout est accompagné d'une piste monophonique en langue anglaise (avec ou sans sous titre français). Considérant la rareté de notre péloche, il est difficile de faire la fine bouche. Dans la tente à bonus, le trailer original , une galerie de photos et des bandes annonces éditeurs. A commander sur : http://www.uncutmovies.fr/