Ressorti dans les salles françaises il y a déjà quatre ans, l'étouffant classique de Richard Fleischer obtient enfin son visa pour la haute définition. Le 17 avril prochain, Carlotta lâche l'étrangleur de Boston dans les linéaires de vos vidéostores. Ecranbis.com profite de l'occasion pour rouvrir le dossier d'une bobine définitivement culte. Nos conclusions ont le mérite de ne rien abandonner au doute : Ne fermez pas les yeux amis cinévores... Mais grand dieu, n'ouvrez pas la porte !
De juin 1962 à janvier 1964, les rues
de Boston furent le territoire de chasse d'un démon à visage humain. L'étrangleur de le Boston, l'étrangleur fou, le tueur du soir... Caché derrière ces macabres qualificatifs, tapi dans l'ombre d'une vie
sans histoire, Albert Henry
DeSalvo, monstre singulièrement ordinaire, emporte les âmes de 13
femmes. Le mode opératoire doublement terrifiant laisse sans voix, car toutes, sans
exception, ont ouvert la porte au tueur et, par conséquent, laissé
entrer la mort dans leur appartement. En 1964 alors que notre homme
court toujours, le cinéma s'empare une première fois du fait
divers. Ce sera «The Strangler» de Burt Topper. Une série B
(sortie récemment en Zone 2 chez Artus Films) qui offrira aux
spectateurs horrifiés un Victor Buono, dégoulinant de sueur,
habiter la bête.
En 1968, Tony Curtis reprend sous la caméra de Fleischer le flambeau pour ce qui sera sans doute son plus grand rôle. Fleischer, parlons-en, car si le réalisateur a, en plus de 40 ans de carrière, navigué sur toutes les mers de l'imaginaire, passant de l'épopée Vernienne à la SF, de l'heroic fantasy à l'horreur, cet ancien étudiant en psychiatrie et médecine n'a jamais caché son penchant pour la terre ferme... Le polar, le film noir l'étude clinique et criminelle. Mais l' étrangleur de Boston, qui préfigure déjà son «Etrangleur de la place Rilligton» (qu'il réalise 3 années plus tard), restera à n'en point en douter l'un des joyaux de sa rutilante filmographie.
L'œuvre est d'abord (car il faut bien commencer par quelque part)
indiscutablement marquée par l'utilisation du «split screen», technique
alors inédite de division du cadre en plusieurs images. Un procédé
que le cinéaste aurait découvert lors de l'exposition universelle
de Montréal et dont il entend dans «L'étrangleur de Boston»
explorer l'usage et les limites. Mêmes scènes filmées sous
plusieurs angles, décomposition d'un même plan en plusieurs images,
cadre dans le cadre et bien sûr compilation de récits distincts
sensés se dérouler simultanément... Le cinéma de Fleischer se
fait expérimental, évoquant parfois la bande dessinée, d'autre
fois et avec quelques années d'avance les artifices de la
vidéo-surveillances. Un sentiment ou plutôt une émotion
insécuritaire amplifiée et multipliée par les cascades d'images résultantes. Un message qui prend en ces temps de trop plein
d'informations télévisuelles, de société caméra-controlée, des
airs d'inquiétante démonstration par l'exemple.
L'autre
face de cette pépite filmique, c'est bien entendu sa construction scénaristique. La segmentation de son propos en deux films quasi
distincts liés dans le fond comme dans la forme par le passage à
l'acte de l'étrangleur. Dans sa première partie, le film de
Fleisher caresse le récit journalistique, l'évocation de meurtres
dont nous ne verrons rien ou presque. Tout ne sera qu'enquête et
descente dans les entrailles de la ville, dans les caves ou
l'homosexualité se terre encore, une Amérique interdite dans
laquelle la prostitution croise quotidiennement la route de la
déviance sexuelle, du fétichisme et de sadiques en tous genres. Mais
pour le procureur Bottomly (Henry Fonda) ni le mal, ni la mort ne
viennent d'en bas, de ces différences ou détresses refoulées. Elles
se cachent au contraire derrière le voile d'une vie sans histoire,
dans l'esprit dérangé d'un père de famille idéal (Tony Curtis)
qui ne rechigne ni au travail ni au devoir conjugal (ses deux
enfants ne sont pas tombés du ciel).
Albert Henry DeSalvo, arrêté et placé dans un hôpital, l'étrangleur de boston montre un autre visage. Le masque psychologique se fissure laissant apparaître la dualité de deux psychés que tout oppose. Le film prend alors une curieuse tournure, celle d'une plongée analytique dans l'esprit d'un tueur et Fleischer s'essaye au périlleux exercice de la mise en scène et en image de la schizophrénie. Décors, couleurs s'effacent alors que nous pénétrons dans le théâtre de l'âme, le cerveau malade dans lequel DeSalvo et son double diabolique sont enfermés à double tour. Un dérangeant voyage immobile et cinématographique porté par la brillante prestation d'un Curtis possédé.
Il serait malhonnête d'écrire dans ces modestes colonnes numériques que The Strangler n'a pas pris une ride, de faire croire à l'actualité ou au modernisme d'un discours cinématographique très veille des 70's. Reste que le message emprisonné dans ces quelques 116 minutes, apparaît, lui, comme définitivement intact. Autrement dit, L'étrangleur de Boston n'a pas fini de prendre son spectateur à la gorge.
Le disque :
Carlotta drape son Bluray de L'étrangleur de boston dans un joli sur étui cartonné. Et qu'on se le dise, cette nouvelle édition permet de redécouvrir le chef d'oeuvre de Fleischer dans un tout nouveau master haute définition à l'image définitivement plaisante sans être pour autant époustouflante. Le tout est accompagné par une piste audio anglaise DTS HD stéréo, une piste française DTS HD Mono. (sous titres français disponibles). Sans oublier deux beaux suppléments :
- «L’écran schizophrène"
Un entretien d'une grosse vingtaine de minutes avec William Friedkin à propos de "The Strangler"
-«Faux nez, vrai tueur : souvenirs de L’étrangleur de Boston»
Un retour sur le tournage du film en compagnie de Mark Fleischer ( le fils du réalisateur), du chef-opérateur Richard H. Kline ainsi que de l’actrice Sally Kellerman. (Une trentaine de minutes.)
Bref voilà ce qui s'appelle un achat cinéphiliquement nécessaire.