La motocyclette : Critique et test dvd



Jack Cardiff, directeur de la photographie doublement oscarisé, pionnier du Technicolor n'a pas que traîné ses guêtres sur les plateaux d'une palanquée disparate de péloches plus ou moins Hollywoodiennes. La construction d'un pont aussi sémantique soit-il entre Black Narcissus et First blood, deuxième du nom  pouvant nous prendre quelques décennies, et n'étant de surcroît pas à l'ordre du jour, je vous propose de borner notre analyse à l'accessible. C'est à dire à simplement relever une asymétrie certaine entre la carrière de technicien et la trajectoire de réalisateur de Mr Cardiff. Au delà de son intérêt strictement cinephilique et filmographique, The Girl on a Motorcycle qui roule ce mois-ci vers nos platines en rut est au moins autant du genre pavé dans la mare que, (printemps 68 oblige) pavé dans la tronche... Cette ballade, peut être surprenante, mais que l'on espère toutefois pas  trop déplaisante, vous est modestement offerte par Ecranbis.com.



Je pourrais débuter cette chronique le doigt tendu vers l'esthétisme joyeusement psyché de «La motocyclette», son encrage aussi formel que profond dans les codes d'une époque et par conséquent souligner, avec zèle, l'inéluctable résultat du non moins inéluctable travail du temps. Ce qui s'élance à toute berzingue sur les autoroutes éphémères de la mode finit toujours encastré aux platanes du Kistch. La motocyclette et ses séquences oniriques criardes, colorimétriquement hallucinatoires, peut être plus cauchemardesques que fantastiques, n'échappent pas à ce code de la route. Reconsidérées plus de quarante ans après, les aventures érotico-psychanalytiques de la douce Rebecca sur son monstre d'acier ont visiblement et visuellement loupé la sortie de l'éternité. (Ah merde fallait tourner à droite et on a tourné à gauche).

Évidemment, le cinévore déviant que je suis (et que vous êtes car j'espère bien que vous ne venez pas ici par hasard) s'en lèche les doigts et pour les plus agiles les yeux. Allez, je vous en fait cadeau. Nous avons effectivement beau jeu de savourer la fulgurance datée et d'ailleurs parfois encore bluffante (la danse de la caméra autour de Marianne sur un décors de bitume) en nous imaginant l'impact de telles chorégraphies pelliculaires sur la jeunesse de l'époque et plus exactement sur nos géniteurs... Un peu de conflit intergénèrationnel ne peut pas faire de mal... Et je vous rappelle messieurs qu'il est interdit d'interdire...


Mais l'essentiel est, pardonnez- moi le contresens, ici ailleurs. Et si la forme de «The Girl on a Motorcycle» épouse à la perfection celle de la dite période, le film développe des concepts et une argumentation tout aussi savoureusement millésimés. Prenons le problème par le guidon et installons-nous sur le porte bagage de Marianne. Car la motocyclette offre à notre effort franco anglais plus que son titre. Elle est l'élément matériel qui rend possible la  transhumance amoureuse et en quelque sorte le moteur de son récit, puisque permettant à Rebecca de s'affranchir d'une contrainte à première vue géographique. Dans le même temps, la jeune femme a entamé un voyage intérieur, aux frontières de la réalité, du rêve et du souvenir. La moto est toujours là, devenant au moins autant la route que le véhicule. Elle est l'élément euphorisant, pulsionnel, désintellectualisé qui libère Rebecca des chaînes de la raison et de la culpabilité. Bien sûr, rétrospectivement, la symbolique libertaire de la moto fait un peu sourire car et c'est ma foi bien logique (peut même nécessaire au sens philosophique du terme): Tout ce qui entre dans la pop culture est appelé à y rester mais pas forcement à la même place. La moto a-t-elle conservé cette portée symbolique? En voyant passer ces jeunes gens, barbe naissante, I-phone à la main debout sur des trottinettes, le doute m'assaille...


La moto de Rebecca est cependant bien plus qu'un moyen de transit physique ou imaginaire. Elle est une définition du rapport que la jeune femme entretient avec son amant. Un objet de fantasme, d'érotisme et de jouissance dont Raymond, le pauvre mari trompé est explicitement exclu. Il faut voir comme Marianne pleine de confiance enfourche l'engin par l'avant au petit matin dans le garage... Comment le passage à la station service tourne à la simulation de coït. La pompe glissant dans le trou du réservoir pour y cracher sa giclé fossile. Comment finalement la bête et sa dompteuse finissent par ne faire qu'un.(Au grand bonheur de la maréchaussée). Ajoutez à cela les éléments connexes, la combinaison de cuir, la fermeture éclair. Le plaisir cinéphilique déviant est d'autant plus intense que la matière et l'accessoire (au même titre que la fourrure ou pire l'imprimé Léopard) ont été depuis désérotisés, ringardisés ou associé aux seules travailleuses que Force Ouvrière n'ait jamais courtisées...


Reste qu'à travers sa mise en équation classique (Le trio n'est pas né d'hier et la passion affronte la raison depuis la nuit des temps), le film de Jack Cardiff nous chante une autre chanson. Je pourrais en rester aux articles idéologiques exposés en vitrine et m'exclamer: Chers amis, la motocyclette est un conte libertaire et érotique ! La belle affaire et dites moi monsieur puisqu'on en est aux évidences, il y a une moto dedans? La question est à poser différemment... La motocyclette n'est-elle que cela? La scène introductive et hallucinée (Rebecca fouettée jusqu'à l'orgasme par son amant sur la piste d'un cirque) n'est-elle pas clé du parcours chaotique et initiatique à venir ? Une mise en accusation d'une forme de psyché féminine, de ses penchants masochistes ... Un règlement de compte misogyne masqué ? Si tel était le cas, «The Girl on a Motorcycle» pourrait contre toute attente ne pas avoir manqué son rendez vous avec l'intemporel...



Le disque :

Artus films nous permet de découvrir « La motocyclette » dans une copie correcte au format d'origine 1.66 accompagnée de mixages audio français et anglais (sous titres français disponibles). En guise de bonus, L'éditeur fait le plein d' un Alain Petit toujours aussi passionnant (Mention spéciale pour l'info sur les duels à la tronçonneuse au cinéma, et dieu sait que notre homme s'y connaît en combat mécanisé), un diaporama d'affiches et de photos et des Bandes-annonces.