À sortie exceptionnelle, chronique
d'exception! Et ne croyez nullement apercevoir à travers cette
introduction (que j'admets volontiers frontale), la plus petite
louche de suffisance, la moindre part d'autosatisfaction. Avouez-le,
j'aurais eu l'air de quoi en passant derrière Giré et ses 128 pages
d'analyse sur le Colorado de Sollima? Moi, mon petit travail de docu scolaire sous le bras en train d'écrire sur des œufs? Dissertation
ou résumé? Allez va, quittons les chemins de la prudence,
n'évitons ni villes, ni les coups d'épaules, quitte à me faire dézinguer sur la terre brûlée d'Almeria par des cinéphiles
pistoleros à l'intransigeante érudition, autant que cela soit avec
un certain sens de l'esthétisme...voire un peu de fougue.
Pour commencer, il faut dire que je
suis né au beau milieu des années 70 alors même que les dernières
balles du Western Spaghetti fusaient dans les airs. «Western
Spaghetti», j'assume l' incontrôlable appellation. Ne
pourrions-nous pas considérer enfin, qu'elle a tombé, en entrant dans
le saloon de la pop culture, la veste du péjoratif ? Faites-moi en
s'il vous plaît cadeau ! Et je considérais aussitôt en retour que
pour les gringos de mon espèce, nés sous la guerre des étoiles, le
rapport au western, aussi européen soit-il, ne tient pas de
l'évidence. A l'âge où, la soif de liberté serre la gorge, le
désir de transgresser se fait la route, le genre appartenait déjà
au passé. Ou du moins était-il déjà en train de renaître, de
façon transgenre par la seule propagation de ses codes ?
Le western ne fut donc pas, pour moi, un point de départ mais une
gare desservie par le train fou. Celui qui me pousse encore
aujourd'hui à garnir à intervalles réguliers, comme un carnet de
bord, ces modestes colonnes numériques. Pourquoi vous raconter cela? Parce que mine de rien, cela change tout... Tout de mon rapport à
cet ouest sauvage et pelliculaire. Il faut ajouter à cette
considération quasi générationnelle, que le western italien m'est
arrivé au grès du vent, des éditions DVD, des mes trouvailles, de
mes envies et de mes lectures, un film en appelant systématiquement
un autre. C'est à dire hors de toute lois chronologique ou
thématique, dans le désordre le plus total... et peut être le plus
assumé. J'ai parfois l'impression que l'empilage baroque de visionnages que je me plais, pour avoir l'air intelligent, à appeler
ma cinéphilie, est un édifice tenant debout par l'opération du
saint esprit.
Venant de m'excuser durant trois
paragraphes de tout déficit d'érudition et d'une conception
parcellaire du genre, j'attaque donc ce Colorado de revers... 1966,
Sollima, peut être prédisposé par un prénom, le sien, Sergio,
plante une première fois sa caméra dans la poussière. L'homme est
passé par le Péplum et l'espionnage et ne fera dans le genre qui nous est cher, qu'une
fulgurante apparition ... Accouchant d'un triptyque dont La Resa Dei
Conti fait office de premier volet mais parfois aussi, de brouillon.
J'ai ainsi souvent lu que Colorado (son retirage français) n'était
qu'un marche pied, une rampe de lacement vers Le dernier face à face
(Faccia a faccia ou Il était une fois en Arizona), sorti sur les
écrans français la même année (Et d'ailleurs d'après la sacro-sainte L'IMDB
avec quelques mois d'avance sur Colorado) dans une version dit-on
particulièrement «Charcutée». Dans La Resa Dei Conti, Lee Van
Cleef, second couteau parti en vrille avec le déclin du western
américain et miraculeusement ressuscité par un autre Sergio (Leone
pour «Et pour quelques dollars de plus») croise Tomas
Milian dans une étonnante course poursuite aux accents
politiques... présumés.
Le légendaire Colorado Corbett,
chasseur de prime usé par des années de chasse à l'homme, prêt à
troquer le revolver contre un costume de sénateur, est envoyé aux
trousses d'un dangereux criminel accusé du viol et du meurtre d'une
fillette âgée d'une douzaine d'années. Le coupable désigné est un péone misérable nommé Manuel
'Cuchillo' Sanchez. Contre toute attente, la dernière chasse du
vautour n'a rien d'une traque ordinaire. Même au fond d'une geôle mexicaine crasseuse, réduit en esclavage dans un ranch isolé, le jeune et
débrouillard mexicain trouve moyen de filer entres les doigts du
justicier. Découvrant chaque jour un peu plus son adversaire, Corbett finit par douter de sa culpabilité et choisira même
d'affronter ceux qui l'accusent à tort de meurtre... Des membres de
la haute société soucieux de protéger un beau fils indélicat...
Pourquoi tant de prudence dans
l'utilisation du terme politique lorsque Sollima met de façon
factuelle dans les mains de l'hyperclasse les outils traditionnels
de sa trahison : la démocratie, la justice ? C'est à dire les illusions conceptuelles d'un pacte mille fois désavoué. Lorsque ce
même Sollima fait de Manuel
'Cuchillo' Sanchez, l'incarnation du petit peuple et la face «B»
héroïque de Colorado. Lorsqu'il fait du crime dont il est accusé
le sacrifice d'un enfant, acte quasi satanique, phénomène bourgeois
pas excellence? Tout simplement car le cinéaste affirmerait ne pas
avoir avoir eu l'intention d'idéologiquement habiller son effort et
préférerait se réfugier sous le masque du conteur. Pourquoi pas,
mais confessons que rien dans La Resa Dei Conti ne plaide en sa
faveur.
Et surtout pas son final qui nous abandonne à une justice
triomphante, en tant que valeur et non en tant d'institution... Sous
entendu, il y a dans cette lutte des classes (matérialisée jusque
dans les oripeaux troués de Chuchillo) encore un peu d'espoir. Il
passe par la rencontre à priori improbable du peuple et des justes... (CRS avec nous ! CRS avec nous !) D'ailleurs qui est le héros de
Colorado ? Corbett ou Sanchez ? A moins que toute la charge héroïque du film
ne soit justement contenue dans la jonction de leur trajectoire.
Quoique nous en dévoile Sollima, une chose est sûre dans Colorado:
sa sobriété réalisationnelle extrême, sa pureté formelle
radicale, ramène sans cesse son spectateur à une lecture
idéologique.
Colorado nous arrive dans une version
intégrale et pour la première fois en HD . Une vingtaine de minutes
séparent le montage d'exploitation français du director's cut.
Autant le préciser, l'éditeur ne m'a malheureusement envoyé que le
disque DVD et il m'a été impossible de comparer les deux versions
du film (l'uncut étant sur le Bluray du coffret) ou l'apport de la
haute définition. Outre les scènes coupées, de nombreux plans
auraient, nous dit-on, été rognés, mais pour être très franc, la vision du montage français ne m'a pas non plus
donné l'impression d'un texte à trou. On peut supposer que Colorado, comme de nombreux autres films ait subi un remontage
technique visant la réduction de son runtime et permettant ainsi
ainsi faciliter son exploitation en salle. Le master est, à
l'exception de quelques plans, d'une beauté ahurissante et accompagné
de pistes françaises, italiennes et anglaises sous titrées. Un
entretien avec Sergio Donati, deux bandes annonces et une galerie de
photos viennent compléter le disque.
Le livre :