Il y a quelque chose de formidablement masochiste et désespérant dans l'exercice de la critique. Il faut d'abord dire que l'on y est mécaniquement contraint de parler des autres, ce qui pour tout égocentrique constitue une tache pénible. Deuxièmement, il n'est pas rare de tomber sur des champs déjà labourés, des gazons déjà broutés, des vierges déjà tondues et des fleurs déjà coupées en quatre. Autrement dit, écrire sur Jess Franco, comme sur De Palma ou Carpenter demande en soit un goût certain pour le ridicule et la redite. De quoi a-t-on l'air en passant derrière Alain Petit (façon de parler bien évidemment) ? Un vulgaire passe plat, le miséreux auteur d'un plagiat analytique… La plume hésitant entre l’effroi et la honte, poussé par les coups de pied au cul d'un éditeur intransigeant, je m'abandonne tout de même à cette périlleuse mission.
Dans "Les Inassouvies", il y a d'abord Sade. La douce Eugénie, jeune et fragile jeune femme, un pied dans le vide, en équilibre sur les falaises de l'innocence. Offerte par son propre père à sa maîtresse lors d'une transaction à l'horizontale, la nymphe débarque, cheveux au vent, niaiserie en bandoulière sur l’île de Madame Saint Ange. Des vacances studieuses dont l'intitulé pédagogique «la navigation en eaux troubles» promet des heures où l'on se colle. Le bateau de madame la professeur est bien évidemment à voile et à vapeur, mais ne dit-on pas qu'une femme invertie en vaut deux. Il y a aussi le frère, sorte de dandy ciniquo-lubrique préfigurant déjà les plus belles heures de la bobohitude parisienne actuelle. Alors bien sûr, Alan Tower, planqué sous le loup de Peter Welbeck (Prononcez Houellebecq !), s'écarte sans doute un peu des écrits du marquis. Non ! Il n'est pas interdit de prendre des libertés avec l'apologie du libertinage. Nous pourrions même y voir la jonction, pas si improbable, du fion et de la forme. Ou comment joindre l'agréable à l'utile. Je digresse ou je diverge... Je vous laisse le choix.
Évidemment, l’intérêt des «Inassouvies» n'est nullement (ou si peu) à chercher dans les errances sensuelles d'une cagole en devenir et l'imagerie sotfcore en découlant. Ici tout semble retenu, le close up raréfié, la charge érotique tamisée ou réduite à traverser le prisme d'un reflet, celui d'un contre champs, d'un filtrage rouge pétant (car il faut bien sacrifier au psychédélisme ambiant), voire à disparaître dans un flou artistique et une sévère perte de focus. Il y a aussi, pour ne pas dire surtout, cette clique de déviants menée par un Christopher Lee, visiblement pas très au courant de la pellicule qu'il est en train d'imprimer. De belles dames, de vieux messieurs disgracieux et écœurants, couples antinomiques vérifiant l'adage pour apprenties connasses : L'amour rend aveugle. A traduire pour les sains d'esprit par : L'argent rend beau, le succès intelligent.
Société secrète de la débauche, néo-druidisme coquin, sacrifice et vampirisme suggéré, en costume s'il vous plaît car il faut bien que l'aristocratie recomposée que constitue la bourgeoisie se trouve des repères, que dis-je un protocole. Bourgeoisie, le mot est lâché car s'abandonner à la perversion demande à minima du temps et au final des moyens. Précisément dont «les petites gens», très occupés à travailler pour gagner de l'argent (sans jamais devenir riches fallait-il l'ajouter), manquent le plus. Cette morale libertine et libertaire, bourgeoise et cynique s'oppose finalement au libertinage présumé progressiste, celui qu'une certaine libération sexuelle nous a vendu (ou a vendu à nos parents). A moins que ces deux visages appartiennent à ma même hydre. La réponse, à l'opposé d'une approximative évocation de la lutte des classes , n'est pas à chercher dans le film de Franco.
Pour le reste, Les inassouvies qui préfigure une partie de l’œuvre Francienne à venir, offre un langoureux ballet érotisant et onirique... Ambiance fin de saison au Grau du roi. L'odeur de sable et de l'entre cuisse en prime. C'est dire si vous auriez tord de vous en priver.
Le disque :
Les Inassouvies nous arrivent dans une fort appréciable édition zone 2 au format cinémascope d'origine (2.35). La copie n'est parfaite mais l’intérêt de l’œuvre prime. Le tout est accompagné de mixages français, anglais ainsi que de sous titre français. La boite à bonus s'ouvre sur «Histoire d'une perversion», une indispensable présentation du film par Alain Petit, un diaporama et des bandes annonces de la collection.