Cheap Thrill : critique et test DVD


Après s'être fait la main sur un abécédaire horrifique gratiné (ABC of Death), Luminor, revient tourmenter les cinéphiles déviants de l'hexagone avec «Cheap Thrills». Au menu de ce repas vidéastique très indélicat, un premier film gonflé, "indé" jusqu'au bout du doigt (le bon, il va sans dire), que vous pourrez vous coincer dans la platine ou ailleurs (Tout les goûts ne sont-ils pas dans la nature ?) le 23 avril prochain. L'éditeur nous ayant balancé "Pour un disque, tu fais une critique ?" Ecranbis.com a relevé le défi et s'est attelé à la bestiole, le temps d'une chronique presque aussi irrévérencieuse que son sujet d'étude.


Sale journée pour Craig (Pat Healy), un avis d'expulsion l'attend sur le palier et le gérant du garage automobile où il travaille lui montre la porte. Au revoir les vidanges, bonjours l'angoisse. Acculé, criblé de dettes, le jeune homme boit son désespoir et les derniers billets verts qu'il a en poche sur le rade d'un pub où il croise Vince, un de ses camarades de lycée, perdu de vue. Mais dans le fond de salle, un étrange couple, décidé à passer une nuit pas comme les autres, les observe. Deux tourtereaux friqués, décadents et lanceurs de défis, deux loosers passablement alcoolisés et au bout du rouleau, un jeu se glisse entre les cadavres de bouteilles. Il s'agit s'envoyer les verres culs-sec, se faire gifler par une demoiselle esseulée, d'échanger du  bourre pif avec le videur du coin ... contre quelques liasses d'or vert. Au fil de la nuit et des rails de coke, sous une pluie biftons, la partie prend une tournure de plus en plus inattendue.


Je ne le cacherai pas plus longtemps, l'effort de E.L. Katz a à priori tout ce qu'il faut pour agacer votre humble serviteur. Le prototype de la petite sensation du moment, revenue d'un périple festivalier, auréolé d'une paire de médailles en chocolat, une hype tenace accrochée au futal. Il n'est pas ici question de discuter le bien fondé  de telle ou telle distinction mais de souligner un fait à mes yeux de moins en moins discutable. Dans l'ambiance festive des projections et les salles acquises d'avances, il n'est pas rare que quelques mètres de péloches s'attirent les faveurs de ce que la presse (papier ou numérique) compte d'observateurs passionnés. Les lendemains chantent, déclarations enflammées et critiques dithyrambiques fleurissent ici et là. Et lorsque la pépite en question a l'honneur et la chance d'imprimer l'écran de nos salon, on peine sévèrement à embrasser l’enthousiasme des primo découvrant. Ce n’est pas le cas, dieu merci, de "Cheap Thrill" qui en bon coup de boule cinématographique, sèche le spectateur, sans lui demander ni son avis, ni autre chose d’ailleurs.


Oui, Cheap Thrills c'est d'abord un premier film, naturellement un peu nécessiteux. Un huis clos cache misère, un script et une poignée de comédiens enfermés dans le concept movie carabiné. Le coup de bluff à la «Buried», «The Lovely One» peut être plus encore à la "Hard Candy" et sa fausse touche «arty». (qui est à l'art ce que le skaï est au cuir, ou BHL à la littérature). Et puis c'est aussi cette percée du cinéma extrême dans les tranchées du fantastique. Cette horreur qui slalome avec une subtilité plus ou moins vague entre les portes de l'imaginaire, ici aux frontières du gonzo social et de la fable voyeuriste. A l'ouest rien de nouveau, une bonne partie des péloches trônant sur les étagères des fantasticovores accrochent leur récit au plancher des vaches. Slasher, Giallo et j'en passe.


 Mais Cheap thrills c'est surtout un sous discours en trompe l’œil. Le disque enfourné, on attend l'interrogation vulgaire de pied ferme : «Jusqu'où irez-vous pour de l'argent ?". Comme si nous n'en avions pas, chaque matin lorsque le réveil sonne, un fragment de la réponse. Qui peut nier qu'il monnaie 5 jours par semaine au moins, sa propre servitude jusqu'à la soumission, parfois l'humiliation. Qui ? Mais Katz creuse d'autres tunnels sous notre petit monde. Son Rocky trash, "Craig"  court moins après l'argent qu'après sa survie, un avenir pour sa femme et son gosse. Un vision jusqu'au-boutiste et radicale du sacrifice. Ce que Cheap Thrills pointe véritablement du doigt, c'est surtout ce couple de bourgeois sadiques et moqueurs, inhumains et cyniques. Cette hyperclasse dominatrice et décomplexée qui dans son désœuvrement, son oisiveté maladive, arrive au bout de son exploration du consommable.

Cette frange de riches qui s'étant déjà tout offert, se cherche d'autres inaccessibles. L’expérience du jeu, de la violence, du sexe et de la mort. Le Safari social dont on revient avec des photos et des souvenirs fiévreux. La ré-installation de la lutte des classe, très courante dans le cinéma fantastique de la fin des années 60 et 70 (le charme de l'époque, dirons nous) reviendrait-elle en force ? Dans un monde soumis jusqu'à l’absurde au libéralisme, une société de plus en plus riche et du plus en plus pauvre, cela n'aurait rien au fond de très étonnant...


Le disque :

Ce disque français a la bonne idée de livrer «Cheap Thrill » dans son scope d'origine et dans un master irréprochable. Attention, le film est présenté en version originale sous titrée uniquement (sous titre inamovibles). Dans le coffre à bonus, un copieux making of ! Une édition minimale mais joliment torchée.