Le bossu de la morgue : Critique et test DVD


En 1968, le succès de La Marca Del Hombre-lobo (Les vampires du Dr Dracula) a ouvert le robinet de l'épouvante à l'espagnole. Jacinto Molina Alvarez devenu vedette sous le parapluie pseudonymique de Paul Naschy s'élance sur la piste de l'imaginaire, l'oeil luisant , le poil soyeux et toutes griffes dehors. Si l'on met de coté Las noches del Hombre Lobo dont l’existence même est sujette à débat, il faudra attendre deux printemps et un duel inattendu, celui de Dracula contre Frankenstein (Los monstruos del terror) pour qu'il retrouve le personnage qu'il a lui même créé: le compte Waldemar Daninsky. 1971, ce sera l’éblouissante «Furie des vampires» suivie de près par «Jack , the mangler Of London» puis «La furia del Hombre Lobo» et «Doctor Jekyll y el Hombre Lobo» (1972). Des années horrifique fastes mais qui, comparées au torrent pelliculaire prêt à s'abattre sur le cine de terror, pourraient avoir des airs de simples tours de chauffe. Un an plus tard en effet, Naschy livre huit scénarii et apparaît dans dix métrages. C'est de cette ration cinématographique qu'Ecranbis a extrait son plat du jour.


Dans la partie autrichienne des Pyrénées, à moins qu'il ne s'agisse d'un village espagnol du Liechtenstein vit un certain Ghoto... Simple d'esprit, au physique difforme, l'homme rumine les humiliations d'un quotidien triste et sans espoir, entre brimades, moqueries et jets de pierre. Ghoto a pourtant un talent insoupçonné, celui de ravir la vie à l'envie, la bosse des meurtres pourrions-nous dire. Et lorsqu'il donne pas la mort, il offre l'amour à Ilse. La nymphe à l'agonie, clouée deans son lit d'hôpital pose sur la bête humaine, ses derniers regards. La faucheuse passée, Ghoto croit perdre le peu de raison qu'il lui reste. Mais un savant fou lui promet la lune : ressusciter la belle, sous la seule et unique condition que le Bossu fournisse le matériel humain nécessaire à la Prométhée moderne. Esclave de son amour, aveuglé par la peine, Ghoto prélève membres et organes sur les tables glacées d'une morgue glaciale. Mais la création monstrueuse du scientifique ne tarde pas à demander de la chair plus fraîche...


Ne faisons pas de chichi, nous tenons sans doute ici le plus beau raisin de la grappe et la plus indispensable galette de ce premier jet hispano-artusien. Aussi si vingt balles traînent dans vos pantalon, messieurs, ne perdez pas de temps à réfléchir ou à en parler avec votre Dame, le bossu de la morgue est celui qu'il vous faut ! On croit souvent l'effort réalisé par accident alors qu'il ne fut que tourné avec précipitation. Un petit souci d'actrice (quelles emmerdeuses, je vous jure !) sur le plateau de « El gran amor del conde Drácula » va pousser l'équipe à avancer les prises de vues d'un second film. «El Jorobado de la Morgue » n'est donc nullement tombé du ciel à travers les nuages de la providence, aussi séduisante soit l'idée de l'écrire dans ces colonnes. Le film m'apparaît d'abord et pour commencer, assez révélateur de l'imaginaire Naschien. A l'âge où l'on mange encore ses crottes de nez, le petit Jacinto découvre les monstres classiques de l'Universal avec « Frankenstein meet the werewolf » . Côté Hollywood, la créature entre en traînant les pieds dans la culture populaire et son évocation ne suffit désormais plus à remplir l'affiche, ni même l'écran.



Sur le principe du « un acheté, un offert » le cinéma horrifique se transforme en bookmaker avec sous les bras la promesse de duel monstrueux, des chocs de titans, voire de Lutte des Clash (Pour les quelques lecteurs camarades encore debout). Naschy retiendra la leçon, son imaginaire ratissera large au risque d'empilages thématiques certes plus ou moins heureux mais indiscutablement généreux. Le bossu de la morgue commence d'ailleurs de la moins fantastique des manières (au sens figuré j'entends). Un assassin difforme mais néanmoins probable, un enfilage de séquences macabres dictées par le plus cru des réalismes... Puis l'entrée en scène de la science jusqu'à l'apparition d'une créature boueuse évoquant la «Swamp Thing» apparue deux années auparavant dans la bande dessinée américaine. Au fond, deux visions du cinéma horrifique s'affrontent ici, le réalisme morbide et la fantaisie. Nous pourrions même aller plus loin en écrivant que deux folies se toisent. La folie naïve de Ghoto, celle du bas et une folie éclairée, celle du haut, se dévisagent sur un ring temporel hésitant, mi contemporain , mi gothique. 


Émouvant mais définitivement inquiétant, Naschy, l'acteur, y trouve un rôle à sa hauteur. Peut être par ce qu'il est plié en deux d'ailleurs. Tandis que Jacinto le scénariste trempe son récit dans une perversion contenue mais réelle. A l'étage, ses jeunes patientes se fouettent jusqu'au plaisir, tandis qu'au rez-de-chaussée, Elke (la sublime actrice argentine Rosanna Yanni, que nous avions aperçue dans « Les Vampires du Docteur Dracula ») offre son corps à la plus étrange des étreintes. Une paire de faux zombies traversent le cadre, une poignée de vrais rats prennent feu.  Vous avez dit chef d’œuvre ?

Le disque :

Artus films livre ici une édition luxueuse constituée d'un fourreau contenant un digipack et un livret de 60 pages titré «Le cinéma de terreur espagnol » et signé par la main d'Alain Petit. Le film est présenté dans son format 1.85 d'origine (16/9) dans une copie que je qualifierais d'honorable, accompagnée de mixage français et espagnol ainsi que de sous titres. Dans la chambre au bonus, un long entretien avec Alain Petit (1h30 environ) , une scène alternative, un diaporama et des bandes annonce. Tout simplement le disque de la rentrée.