Madeleine, cyclope fait femme, brandissant le canon de la vengeance à la barbe des spectateurs dans le silence assourdissant de la campagne suédoise. L'image a réussi à marquer au fer blanc l'imaginaire des cinéphiles de tout poil. Même ceux qui ne l'ont pas vue s'en souviennent, me souffle-t-on dans l'oreille. Signe incontestable d'une entrée en fanfare et par le culte (aïe!) dans la culture pop. En 1973, Bo Arne Vibenius que l'on dit tourmenté par les affres de la création et l'insuccès commercial dont son précèdent jet est victime, entend appliquer sur les brûlures de l’âme, le baume de l'exploitation. Le résultat, qu'il n'est pas interdit de présenter comme l'une des cales étalons du genre «Rape and Revenge» était disponible depuis belle lurette chez nos cousins et oncles d’Amérique. Bonne nouvelle pour les incorrigibles bisseux de l'hexagone, Thriller a cruel picture a enfin droit à sa galette française... Autrement dit virez-moi toutes ces éditions Synapse de vos étagères, en juin, on se passe le Bach !
"l'un des plus beaux exemple de femme en pétard de l'histoire du cinéma … et un film qu'il est urgent de redécouvrir autrement qu'à travers le prisme de Tarantino et de ses efforts maniéristes. "
A l'âge où l'on mange encore ses crottes de nez, Madeleine croise le mal et le mâle. Un vagabond lui souffle l’innocence et la parole, offrant à la petiote un étourdissant aperçu de ses drames à venir. Revenue dans sa ferme natale, la gamine fait bonne figure mais ne pipe pas mot et trouve refuge dans les taches du quotidien. Ces gestes répétés à l'infini, seuls capables de reconduire aux portes de la pensée, l’effroi que lui inspire désormais l'humanité. Alors qu'un bus lui fait faux bon, Madeleine se trouve embarquée dans la voiture d'un inconnu. Il s'appelle Tony et pose sur l'adolescente le regard faussement intéressé si caractéristique du vendeur de machine à laver sur le point de vous refourguer une extension de garantie. Mais ce prédateur qui présente bien, fait moins dans le «But» que dans la pute. Sa proie enivrée , ramenée au terrier, il débute son éducation aux psychotropes.
"Œuvre carrefour entre cinéma d'exploitation, cinéma expérimental, porno et fable anarchique, Thriller... a cruel picture est avant toute chose une œuvre habitée..."
Notre héroïne dépendante à l’héroïne, n'a plus d'autre choix que de la jouer «Patrice Evra», comprendre enchaîner les passes sans but, si ce n'est celui de recevoir quotidiennement de son «Pierre Gattaz», de quoi oublier le poids de ses chaînes. Madeleine, chatte sauvage se défend, souffle et griffe son premier visiteur au visage. Pour la punir, Tony lui crève un œil transformant sa travailleuse en curiosité, une pirate de l'amour que l'on s'arrache à coup de billets et de reins. Le meurtre d'une de ses collègues de (sous le) bureau va toutefois lui ouvrir l’œil qui lui reste. Tony a peut être réglé les moindres détails de sa descente aux enfers, elle remontera chaque marche à la force de sa rage. Ignorée par la justice des hommes, abandonné par la justice divine, Madeleine consacre son temps libre à de curieux rituels initiatiques... Distribution de bourre pif, coups de pétard et conduite sportive, jusqu'à devenir la plus implacable des femmes fatales. Un bourreau exécutant en silence les sentences qu'elle a elle même prononcées...
Œuvre carrefour entre cinéma d'exploitation, cinéma expérimental, porno et fable anarchique, Thriller...a cruel picture est avant toute chose une œuvre habitée.On peut certes entendre que Vibenius fut guidé par la volonté de pousser les limites du montrable d'alors et de remplir ses tiroirs caisses, y compris en drapant son métrage dans les pratiques les plus sulfureuses. Inserts pornographiques permettant d'aller au fion et au fond du calvaire de Madeleine, utilisation présumée ou légendaire ( et peut être les deux en même temps) d'un véritable cadavre sur le tournage (Lindberg évoque la question dans les bonus)... Je dirai même que de ses démêlés avec la censure, l’existence de plusieurs versions jusque dans la tumultueuse sortie DVD américaine par Synapse au milieu des années 2000, qui donna lieu a une affrontement entre l'éditeur et le cinéaste, tout semble avoir été pensé pour enrober «Thriller a cruel picture» d'un flou providentiel... D'un trouble existant aussi bien dans l’œuvre qu'autour de l’œuvre.
"...au risque de constituer une œuvre clivante que l'on peut détester, aimer , aimer détester, détester aimer "
Il y a néanmoins dans la curieuse mixture que constitue Thriller, des éléments aptes à trahir ou révéler d'autres intentions . Premièrement dans sa quête du succès Vibenius se tourne vers un genre sur le point de se cristalliser, le rape and revenge. Genre qui a pour particularité d'être de façon intrinsèque un cinéma sociétal. C'est à dire un cinéma qui à travers son propos interroge société et institutions sur des questions précises que sont la justice, la victime, le coupable et la réparation. Le tout en caressant un progressisme déjà ambiant à rebrousse poil... On pourrait pratiquement ajouter avec la brosse du fantasme anarchiste. Ce qui explique certainement en partie le jeu de fascination répulsion qui existe entre la critique en général bien pensante et cette figure filmique.
Secondement dans la forme, «Thriller» apparaît comme
indiscutablement plus audacieux et exigeant qu'une simple bobine
de drive in... Il y a évidemment cette usage entêtant des ralentis,
son habillage sonore embrassant la musique concrète, le mutisme de
son héroïne, l’âpre poésie qui conduit le film jusqu'aux frontière
du cinéma d'auteur. Au risque de constituer une œuvre clivante
que l'on peut détester, aimer , aimer détester, détester aimer (car
il faut parfois aussi accepter ses propres contradictions ). Une chose
reste sure... la performance de Lindberg si elle venait à imprimer
vos écrans imprimera à coup sur vos mémoires. Oui nous tenons
dans Thriller l'une des plus belles femmes en pétard de
l'histoire du cinéma … et un film qu'il est urgent de redécouvrir
autrement qu'à travers le prisme de Tarantino et de ses efforts maniéristes. We love Bach Films, We Love Christina and we love
Thriller …
Un œil sur le disque :
Pour cette sortie événement, Bach a vu grand. Thriller nous parvient dans un beau digipack contenant outre la galette, 3 belles cartes postales (une affiche , deux photos). Le film nous est lui présenté dans sa version intégrale (contenant les inserts hard) dans un master 16/9 honorable. Pour le plaisir des cages à miel du Suédois, de l'anglais, du français. On notera la présence de sous titre ainsi qu'une section bonus bien remplie avec un entretien exclusif avec Christina Lindberg et les réactions du public (avec questions à la belle Christina) lors de la projection du film à l'absurde séance. Sans doute l'une des galettes les plus indispensables de ce premier semestre !