L'automne vidéastique n'est pas sans surprise pour les amateurs de fantastique. Alors que les "line up" des éditeurs français fondent à vue d’œil, que les linéaires dédiés aux galettes argentées tentent vainement d'échapper à la logique de l'offre et de la demande, que l'on chante ci et là avec un cynisme nécessairement joyeux la fin du support, quelques acteurs font de la résistance, continuant à creuser un sillon éditorial précieux. La vidéo telle que nous la connaissons peut-elle survivre en qualité de niche ? La poignée de collectionneurs cinéphiles français, entretenant encore un rapport exalté et fétichiste avec le fait cinématographique, suffira-t-elle à nourrir les troupes ? Du côté d'Elephant Films, on ne perd visiblement pas espoir. L'éditeur multiplie cette année les offrandes au dieu «Mange disque» et s'élance dans une collection prometteuse s'il en est, «Cinéma Monster Club» dont les premiers titres se trouvent accrochés aux guenilles de Frankenstein... Cinq titres arrachés au prestigieux catalogue de la non moins prestigieuse Universal, trois bluray, deux DVD sur lesquels Ecranbis.com ne pouvait que poser un regard amoureux. Et on commence en beauté avec «Le fils de Frankenstein ».
"Ce prolongement est tout d'abord remarquable par son podium d'interprètes... Basil Rathbone... Bela Lugossi ...Boris Karloff..."
Wolf Frankenstein recevant l'héritage familial |
"Le propos hésite sans cesse, citant les œuvres de Whale d'une main, les revisitant de l'autre. Le biscornu des paysages, la nouvelle géométrie des décors ne seront au fond que l'écrin d'un résurrection, celle du récit originel et de ses composantes ..."
1939, Universal, qui s'est détourné un temps du cinéma dit d'horreur, réanime le monstre de Frankenstein. Le studio, que l'on dit traverser des difficultés financières, se trouverait inspiré par un succès inattendu. Une salle de cinéma de Los Angeles, au bord de la banqueroute, aurait eu l'idée de présenter un triple programme des plus monstrueux : Frankenstein, Dracula et King Kong. Le succès populaire de cette triplette horrifique est tel que le célèbre Studio se lance dans la production de «Son of Frankenstein », troisième volet de ce qui est souvent taxé de trilogie originelle, dernier film à offrir à sa créature la silhouette de Boris Karloff , dernière bobine tournée à grand frais et par conséquent encore étiquetable «A» avant un grand saut dans «B» opéré à quelques encablures de là par un Frankenstein devenu fantôme (Le spectre de Frankenstein). Whale, auteur des cultissimes « Frankenstein» et «The Bride of Frankenstein» décline, laissant sa place à l'acteur, réalisateur, producteur Rowland V. Lee.
Dans la vie, on porte toujours quelque chose pour quelqu'un... et parfois le quelqu'un en prime... |
Ce prolongement est tout d'abord remarquable par son podium d'interprètes... Basil Rathbone, pas encore Sherlok Holmes, y campe, Wolf, le fils de Frankenstein promis par le titre. Quoique que par un quiproquo soigneusement entretenu, la créature de Dr Frankenstein recevant le nom de son créateur en héritage, la présence du fils de Wolf ( l'arrière petit fils du Dr, suivez-vous toujours ?) jusque sur les visuels du film, on se saura jamais trop sur quel rapport filial danser. Après tout, ne pourrions pas considérer le monstre, lui aussi, comme une forme de progéniture, certes plus intellectuelle que charnel, et le fameux baron comme un monstre à visage humain pour ne pas dire ordinaire. Mais ne rajoutons pas de trouble au trouble. De l'autre côté du ring, Bela Lugosi incarne Ygor, un être quasi fantastique, lui même revenu des morts, créant un lien aussi étrange que machiavélique entre le scientifique guindé et la bête. Dès le «fils de Frankenstein» et avant que la chose ne prenne une tournure nettement figurée dans le film suivant « Le spectre de Frankenstein » , le monstre sera le corps, Ygor le cerveau … Le monstre puisque nous en parlons, ce sera Karloff dont on nous rapporte qu'il regrettera longtemps s'être laissé embobiné (dans tous les sens du terme) dans une pareille aventure.
"Si tout apparaît ici comme sublimé par les moyens d'une superproduction, la flamboyance de ses interprètes, il va sans dire que «Le fils de Frankenstein» ne parvient que par quelques brèves fulgurances à tenir la comparaison avec ses illustres modèles. Reste un métrage, à l'indiscutable beauté formelle et à l'intérêt historique évident"
Le corps et le cerveau... |
Le propos lui hésite sans cesse, citant les œuvres de Whale d'une main, les revisitant de l'autre. Le biscornu des paysages, la nouvelle géométrie des décors ne seront au fond que l'écrin d'un résurrection, celle du récit originel et de ses composantes... Résurrection permanente d'un mythe, prolongé du film en film. Il n'est pas interdit de voir dans le traitement de Frankenstein par les pontes de l'Universal , la matrice de l'exploitation hollywoodienne des franchises horrifiques à venir. L'expression d'un éternel recommencement, perdant à chaque tour de bobine un peu de sa charge. Si tout apparaît ici comme sublimé par les moyens d'une superproduction, la flamboyance de ses interprètes, il va sans dire que «Le fils de Frankenstein » ne parvient que par quelques brèves fulgurances à tenir la comparaison avec ses illustres modèles. Reste un métrage, à l'indiscutable beauté formelle et à l'intérêt historique évident, dont le succès populaire permit à la fois à l'Universal de sortir ses comptes du rouge et ouvrit la voie à quelques savoureux prolongements dont nous reparlerons très bientôt.
L'autre couple du film, celui des Frankenstein |
Un œil sur le disque :
Pour cette première salve «Cinéma Monster Club», Elephant films a fait les choses bien, livrant «Le fils de Frankenstein» dans un combo Bluray DVD Classieux, coiffé d'un sur-étuis aux couleurs de la collection. A l'intérieur, un livret signé par la main de Damien Aubel ( Rédacteur Chef cinéma à Transfuge) , mais surtout deux belles galettes embarquant 28 minutes de Jean Pierre Dionnet pur jus (Un supplément titré «Le mythe de frankenstein» qui se retrouvera dans toutes les éditions et une présentation du film). Rayon technique, le master haute définition, même si il n'égale pas la beauté des restaurations de Frankenstein et La fiancée de Frankenstein qu'Universal s'est offert pour ses 100 ans, se révèle à la hauteur de cette sortie événement. Outre une piste anglaise sous titrée (Master Audio HD Dual Mono), l'éditeur propose un doublage français qui devrait à défaut d'emballer les puristes, réjouir le grand public et les anglophobes.