L'invasion des profanateurs: Critique et Test Bluray




En 1978, Philip Kaufman (L'étoffe des héros, L'insoutenable légèreté de l'être) s’attelle-t-il au remake d'un classique du cinéma de science fiction américain ? Ou tente-t-il plutôt une nouvelle mise en pot cinématographique des graines semées par Jack Finney dans sa nouvelle puis son roman "The Invasion Of the Body Snatcher" ? La question est épineuse... et c'est indiscutablement à travers ce double prisme que notre film du jour atteindra les écrans américains puis européens devenant à son tour un de ces métrages indémodables portant de manière très paradoxale les stigmates de leurs époques. En un mot : un classique. Si depuis la thématiques de l’aliénation a fait école...Le "Body Snatcher" d'Abel Ferrara, "Les maîtres du monde" de Stuart Orme, "Invasion" d' Oliver Hirschbiegel ou encore plus récemment le "Viral" de Henry Joost et Ariel Schulman... Aucune entreprise , aussi réussie soit-elle, n'est réellement parvenu à peindre l'horreur d'une invasion froide, sourde, inéluctable tout comme la description de cet ennemi dissimulé sous une normalité apparente...

"...
un de ces métrages indémodables portant de manière très paradoxale les stigmates de leurs époques. En un mot: un classique."


L'invasion des profanateurs de Kaufman est sous ses airs de petite productions horrifique et SF, un film profondément radical, abordant la question de l’altérite avec une paranoïa décomplexée. L’Amérique désillusionnée du crépuscule des seventies, sa jungle urbain grisailleuse , ses arbres de béton, lacérant un ciel bouché, servent de décors à ce que l'on pourrait aujourd'hui taxé de grand remplacement... Sans pertes (ou presque) et sans fracas... Sans gigantesques soucoupes volantes planants au dessus des capitales, sans épisodes militaires mais tout au contraire avec subtilité et de manière insidieuse. L'invasion des profanateurs n'est pas le récit d'un ménage par le vide, ni le récit d'une mise en esclavage mais le récit d'une substitution. 

"L'invasion des profanateurs de Kaufman est sous ses airs de petite productions horrifique et SF, un film profondément radical, abordant la question de l’altérite avec une paranoïa décomplexée."


 
Une substituions à échelle planétaire et civilisationnelle mais également une substitution à l'échelle du soi. Car il n'est pas seulement ici question de prendre le contrôle d'une planète, d'une organisation sociale, mais bien d'un remplacement des corps et des esprits par une duplication et une forme de clonage végétal. C'est un peu ce qui différencie les films directement adaptés des écrits de Finney et ses enfants illégitimes. Toutes les invasions qui prennent des créatures parasites comme mode opératoire abordent "de facto" la thématique de l’aliénation et pas celle de la substitution. De mêmes, elles définissent le plus souvent le dit parasitisme comme étant potentiellement réversible. Ce qui n'est absolument pas le cas de l'invasion des profanateurs dans laquelle, la substitution implique une destruction. Encore une fois ce qui différencie vraiment le film de Kaufman, c'est la radicalité ce qu'il décrit et de ce qu'il raconte. 

 "Une substituions à échelle planétaire et civilisationnelle mais également une substitution à l'échelle du soi." 



L'autre aspect marquant du film tient à la manière dont il est construit. C'est un œuvre qui en terme de ton et de structure emprunte beaucoup à l'invasion qu'elle tente de peindre. Kaufman a fait le choix d'une lenteur presque mécanique qui rappelle sans cesse au spectateur qu'il est face à l'inexorable. Il y a une sorte de froideur dans l'image dans la description des rapports entre les personnages qui ne tient pas de la distance mais plutôt d'une forme de désespoir. On peut pratiquement écrire qu' à peine le générique passé, dans les cinq, six premiers plans qui impriment l'écran, on a, non pas l'intuition de ce qui va advenir, mais celle d'une issue douloureuse. C'est peut être même ce qui est de plus fort dans le film. Non seulement le spectateur a compris que toute tentative d'échapper à cette invasion était vaine mais en plus, on sent presque que les personnages eux même l'ont compris. Dès nous ne sommes de manière factuelle plus que dans l'idée d'une échéance à repousser, l'idée d'un gain de temps...Une métaphore du drame humain ?  L'histoire de chaque homme ne se termine-t-elle pas d'une part par sa mort et d'autre part par son remplacement ?


"Une métaphore du drame humain ?  L'histoire de chaque homme ne se termine-t-elle pas d'une part par sa mort et d'autre part par son remplacement ?"



Un œil sur le disque :

L'invasion des profanateurs nous parvient dans un nouveau master haute définition qui permet de visionner le film dans son format Flat (1.85) d'origine avec une qualité d'image exceptionnelle en dépit de quelques immanquables fourmillements sur les plans sombres. La chose est accompagnée d'une piste doublée en français monophonique et d'une piste anglaise originale spatialisée 5.1. (sous titres anglais disponibles) L'éditeur (Rimini Editions) a fait de gros efforts sur les suppléments avec un livret copieux de 12 pages, et une séries de bonus dignes d’intérêt :

-Au cœur de l'invasion ( 9 minutes VOST)
-Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et aimer les cosses ( 15 minutes VOST)
-Mener l'invasion (25mn VOST)
-Recréer l'invasion (16mn VOST)
-Mettre l'invasion en musique ( 15 mn VOST)

et surtout "Une invasion signée Jack Finney", bonus passionnant en français (28 minutes)