La servante : Critique et test Bluray

Huanyo bluray


Ressortie en salle en plein cœur de l'été, La servante (Huanyo) de Kim Ki-Young, chef d'œuvre perdu retrouvé du cinéma coréen, revient épousseter les nuits des vidéovores cinéphiles. Un démontage minutieux des mécanismes de la destruction? Une œuvre brulante et paradoxalement froide comme la mort ? Une fronde sociale sous microscope ou un simple film d'épouvante ? Une chose est sûre, la servante qui navigue hors de portée des radars … n'a pas volé sa chronique aux pays des amoureux du mauvais genre.

Chronique : 

Dans la Corée des années 60, Dong-Sik, pianiste, trompe l'ennui des ouvrières d'une usine de textile en leur donnant des cours de musique. Son charme froid et ses talents d'artiste séduisent son auditoire au point qu'il trouve sur son piano une lettre enflammée. Il dénonce aussitôt son admiratrice à la direction qui décide de renvoyer la jeune femme sous les yeux de sa meilleur amie, Cho. Dans le même temps, la femme de Dong-Sik, épuisée par le travail et l'emménagement dans une nouvelle maison, ne parvient plus à assurer le quotidien de la famille. Le couple décide donc de prendre la domestique que Cho leur recommande. Mais très vite la jeune femme dévoile un talent insoupçonné pour la manipulation...

la servante Kim kiYoung


Il est des films dont on ressort avec des certitudes. Généralement celle d'en avoir fait le tour ou plutôt d'en avoir extrait l'essence, le message (lorsque message il y a) et d'autres qui se dérobent. Autrement dit, qui se soustraient à toute méthode d'extraction, y compris au fractionnement sémantique. La servante de Kim Ki-Young fait partie de cette seconde catégorie, de ces péloches qui nous abandonnent à un parterre d'impressions, un terrain vague sur lequel ne pousse que les questions. Pourtant et en dépit de l'exotisme de son décors social (la Corée des années 60), tout ici semble familier, le style et le phrasé pour commencer, presque occidentaux. La trame formidablement classique qui se contente de faire entrer le loup (la servante) dans la bergerie (la famille) et d'observer avec une jouissance Sadienne, les débordements produits. Tragédie et voyeurisme, enlacés pour les besoins d'une valse diabolique mais paradoxalement humaine jusque à ce que l'orchestre se taise... autrement dit le point de rupture.


la servante Kim Kiyoung


Si ce crépusculaire spectacle ne vire jamais à l'insupportable, c'est d'abord par ce que «La servante» est un film sans bourreau établi, sans victime désignée mais un perpétuel jeu de chaise musicale. La rigidité fragile de Dong-Sik, le machiavélisme amoureux de Cho, l'hystérie manipulatrice de la bonne... Tout n'est que question d'instant et Kim Ki-Young scie scrupuleusement toutes cordes tendues entre ses personnages et le spectateur. Comme si la tragédie relationnelle proposée devait être rigoureusement et scientifiquement observée, devait échapper à toute forme d'affects, de compassion et d'interprétation. Voici la nature profonde et réelle de l'homme et de la femme, voici les forces qui les poussent naturellement à la destruction. La servante, une fable anti humaniste ? Une démonstration de laboratoire, d'appartement et de studio pour rats réels et rats fantasmés ? Si cela n'était pas la volonté première de Ki-Young, ces 107 minutes pourraient en tout cas faire office d'acte manqué.


la servante Kim Kiyoung


Mais la tignasses brune et le regard finalement plus inquiétant que torride de notre femme de ménage nous ramène à quelques chose de moins métaphysique, à la domesticité, esclavage soft et bourgeois, à l'usine, temple de la servitude moderne... Tous servant et servante de quelqu'un ou de quelque chose. Et pour commencer esclave de nos propres désirs. Penchant humain sur lequel le libéralisme a su, sans jeux de mot, capitaliser jusqu'à en faire le moteur de son projet d'aliéniation. Il y a dans la servante, quelque chose qui s'écroule et quelque chose qui laisse entrevoir l'effondrement à venir. Un monde qui suffoque, étranglé par un modernisme colonisateur. Une lutte des corps, des classes et des cultures. Reste la forme, cinglante, lumineusement sombre qui enferme ce faux mélodrame dans la cage du film noir, du psycho thriller carabiné. Reste le trait scapelisé faisant apparaître dans trouble brouillardeux du propos, la souche d'un cinéma à naitre,  tandis que dans l'ombre de son personnage titre, s'esquisse déjà les silhouettes de Sadako et autres brunettes maléfiques...8/10

la servante Kim Kiyoung

Test technique  : 

Carlotta emballe joliment "La servante" dans un bluray rose et blanc habillé d'un sur-étui cartonné. Le master HD restauré promis par la jaquette est à la hauteur de nos espérances. Un bémol toutefois. Comme l'explique un carton au lancement du film, l’œuvre a été dans sa plus grande partie restaurée à partir de négatifs retrouvés au début des années 80, mais deux bobines manquantes ont été tirées d'une copie d'exploitation sous titrée. Une différence de source qui en dépit des efforts déployés (le gommage pur et simple des sous titres ) se voit...  A l'étage suppléments, un document titré "Deux ou trois choses que je sais sur Ki-Young" (48mn) dans lequel 22 cinéastes évoquent l'influence de Kim Ki-Young sur le cinéma Coréen. Une bande annonce et un bonus relatif  à la restauration du film complètent la galette. Une belle édition.

Format 1.55 Noir et blanc, Langue coréen, sous titrage français. Également disponible en DVD.




Auteur: Claude G.