A couteaux tirés...Rencontre avec l'auteur Vincent Maia



Gonflé, Vincent Maia s'attache à la cartographie d'un genre mythique dans un ouvrage titré « A couteaux tirés, l'histoire du slasher movie ». 289 pages auto éditées toute entières consacrées aux fines lames du cinéma d'exploitation, une promesse en prime, celle de disséquer de la plus méticuleuse et complète des manières un courant cinématographique plus complexe qu'il n'y paraît Pari réussi puisque une fois les contours stylistiques et narratifs de son sujet d'étude tracés, l'auteur s'élance dans une exploration aussi passionnée que précise. «A couteaux tirés» ne se contente nullement d'enfiler les références, mais plonge ses mimines souillées de sang dans les rouages et mécanismes du slasher Movie et se risque à livrer un point de vue. En ces temps de duplicata numérique et de pensée molle, on applaudira des deux mains et des deux pieds ce genre de prise de risque. Et en plus de vous recommander chaudement la lecture de "A couteaux tirés",  Ecranbis.com est parti à la rencontre de son auteur...

Je te ne cache pas que quand j'ai eu connaissance du livre, ma première pensée a été, je ne connais pas ce Vincent Maia mais de toute évidence il a du courage car le Slasher, au même titre peut être que le Giallo, tient un place importante dans la cinéphilie de beaucoup d'amateurs de cinéma de genre. C'est un coup à se lancer dans des joutes analytiques sans fin. Est-ce que cette question t'a taraudé au moment de l'écriture ? Et pour le coup comment est reçu le livre ?

Bien sûr. C'est d'ailleurs l'une des premières questions que je me suis posé, avant même de commencer quoi que ce soit. Avais-je réellement envie de me lancer corps et âme dans ce type d'ouvrage, avec toutes les idées que je prévoyais de développer, et devoir inévitablement, à un moment ou à un autre, entrer en conflit avec des fans du genre ? Le slasher movie est un univers cinéphilique capable d'engendrer des fans extrêmes, dont la passion pour ces films confine à l'obsession. Et je suis parfaitement conscient qu'Internet est un formidable outil de communication, mais c'est un outil à double tranchant. Selon moi, ce versant acéré à un nom, c'est l'anonymat. Il faut apprendre à faire la part des choses quant aux commentaires que l'on peut retrouver sur Internet au niveau de son travail : s'investir dans ce qui relève de la remarque pertinente, et ignorer ce qui se situe dans la sphère de la gratuité absurde. Fort heureusement, jusqu'ici, je n'ai pas eu à me soucier de ce genre de problème. Au niveau de la réception du livre, s'il fallait le réduire à un « produit », un ensemble, celui-ci est plutôt bien accueilli par les professionnels du milieu, notamment les libraires. Quant au travail d'écriture en lui-même, ça s'est également révélé prometteur auprès des passionnés auxquels je me suis adressé. Pour l'instant, je n'ai reçu que des remarques négatives très limitées, qui touchent un aspect malheureusement inévitable dans une autoédition, qui plus est, dans une première autoédition.

Le Slasher, c'est comme toute étiquette (Série b, Scream queen... ) un territoire à géométrie variable ...D'ailleurs toute un partie de ton livre a pour objectif de tracer les contours du genre. Et j'ai lu que tu écartais de façon assumée les slashers incorporant des éléments fantastiques. Alors du coup comment considères tu certains Vendredi 13 , voir même certains Halloween dans lesquels l'élément fantastique est suggéré ?

Cette idée, cette conviction, a été le plus gros dilemme à gérer durant l'écriture de ce livre. En ce qui concerne les films de la franchise Vendredi 13, j'ai dû effectivement me résoudre à passer sous silence nombre de volets, de Vendredi 13 : Jason le mort-vivant au reboot de Nispel, plus précisément. Quand on aborde un film de cette thématique, si le tueur du film est une créature surnaturelle assumée, les enjeux changent radicalement. La lecture de l’œuvre est tout autre ; moi, en ce qui me concerne, je n'ai pas du tout les mêmes attentes. En 1986, la franchise a pris une autre orientation, en conservant les codes du slasher, certes, mais elle  a emprunté une nouvelle direction franchement ancrée dans le fantastique. Et ce n'est pas pour rien que des producteurs inconscients ont fini par envoyer Jason dans l'espace... Dans la franchise Halloween, c'est différent, les aspects surnaturels se font bien plus discrets (à l'exception, bien sûr, du troisième épisode et de la maladroite explication concoctée dans le numéro six) ; Moustapha Akkad, en bon businessman, a toujours veillé à ce que sa poule aux œufs d'or ne soit jamais trop dénaturée, après le revers subi à la sortie du troisième volet. J'avoue que ces notions viennent frôler de très près la frontière du ressenti, ce n'est donc pas toujours évident de les retranscrire à l'écrit, et encore moins de les défendre. Enfin, il faut déterminer ce qui relève du contexte de visionnage et de la période dans laquelle ceci s'insère. La seconde moitié des années quatre-vingt et la première moitié des années quatre-vingt-dix sont résolument fantastiques, avec de nouvelles franchises comme Les Griffes de la nuit, Hellraiser, Chucky, Critters, House, Tremors... j'en passe et des meilleurs. Partant de là, je ne peux pas m'empêcher d'affilier certains Vendredi 13 à cette mouvance, tandis que, et c'est mon avis, la saga Halloween a poursuivi sa route sans trop chercher à se raccrocher à ce phénomène.

Si j'ai lu les quelques indices que tu laisses ci et là, je pense que nous avons un peu le même age. Et par conséquent un peu la même chronologie de parcours. Chronologie dans laquelle la nouvelle vague du slasher «Scream & co» est assez déterminante. A l'époque je me souviens qu'un journaliste qui fut un temps rédacteur en chef d'un fameux magazine français, clamait sur tous les toits que «Scream » enterrait le genre Slasher. Toi qui a pour le coup fait un vrai travail analytique et historique, que t'inspire cette phrase ?

Je suis partagé entre la bourde monumentale et la remarquable lucidité à chaud. En termes de quantité, c'est forcément faux, car un tel film ne pouvait qu'engendrer des clones, dont des œuvres tout à fait plaisantes à regarder, mais qui n'auraient pas vu le jour sans le succès de ce classique de l'horreur. Donc, et c'est plus qu'évident, Scream a revitalisé un genre à l'agonie, un genre cliniquement mort en ce début des années quatre-vingt-dix, un genre dont personne n'aurait pu prévoir la résurrection. D'autant plus qu'en cette période, le genre horrifique ne connaît pas ses plus belles heures, loin de là. Néanmoins, il faut se rappeler que le revival ne dure que trois ou quatre ans. Le phénomène originel ne dure pas spécialement plus longtemps, mais l'Halloween de Carpenter a été, en son temps, suivi de bien plus de films marquants que ne l'a été Scream. C'est dans ce sens que l'on peut dire que, bien involontairement, Scream a porté préjudice au slasher. Je ne veux pas minimiser l'impact d'Halloween, et là, il faudrait revenir longuement sur les contextes de sortie respective, mais Scream a placé la barre très haut au niveau visuel et scénaristique, notamment au regard des personnages que le slasher ne pouvait plus traiter de façon grossière après ça, condamnant quelque peu les films à venir. Si l'on juge Souviens-toi... l'été dernier par rapport à la concurrence, c'est un bon slasher. Mais soyons réalistes, malgré l'affection que je porte à ce film, après Scream, ça ne tient plus vraiment la route. Du moins pour la majeure partie du public, qui s'en est rapidement rendu compte.

Tu expliques également quelque chose que je trouve très vrai. C'est qu'il existe toute une littérature anglo-saxonne sur le cinéma qui ne trouve pas ou presque pas d'équivalent en France. C'est à dire quelque chose qui sortirai à la fois des cadres strictes de la critique, de l'avis et de l'informatif .Quelque chose qui serait plus de l'ordre de la construction analytique...Comment t'expliques-tu cet état de fait ?

C'est peut-être tout simplement dû aux différences d'ordre culturel. Par exemple, la culture populaire est un axe de recherche à part entière dans les universités anglo-saxonnes. Prenez une série qui marche, à tort ou à raison, une série culte, et il y aura des chances qu'une faculté américaine ou britannique se soit déjà penchée sur une analyse des thèmes sous-jacents de l'auteur, le tout reprit par un éditeur. Dix ans auparavant, c'était encore inconcevable en France, ou c'était le fruit d'un exemple isolé, d'un projet de thèse soumis à un directeur de recherche à l'esprit un peu plus ouvert que ses confères. Ici, ça commence juste à bouger, ça avance un peu, mais le retard est déjà grand. On peut aussi parler du secteur de l'édition, plus développé et surtout bien plus simplifié (exemple du fair use étendu au droit à l'image) dans ces pays-là. En France, les maisons d'édition spécialisées dans le cinéma ont du mal à tenir, et quelques-unes ont déjà mis la clé sous la portes durant les dernières années. Aujourd’hui, les maisons d'édition susceptibles de publier sur du cinéma de genre se réduisent à deux ou trois éditeurs, et encore. Et qui dit quelques rares éditeurs, dit nécessairement grosse exigence sur les manuscrits, réseaux, ou peu de marge de manœuvre pour sortir des clous et proposer des livres construit autrement. On peut aussi parler du poids de la Nouvelle Vague en France, qui confère au réalisateur tous les honneurs du film. Le travail des autres, on n'en parle jamais, ou à peine. On va rarement chercher à comprendre le sous-texte, les allusions du scénariste, et la façon dont s'y prend le directeur de la photographie pour lier la forme et le fond. Alors, si quelqu'un cherche à véritablement analyser une œuvre, un courant, une mode cinématographique, il y a de fortes chances que cela se cantonne aux choix du réalisateur, que tout tourne autour de son travail. Ça me paraît très difficile d'adopter ce que tu appelles une « construction analytique »,  si l'on ne respecte pas le travail du scénariste, si l'on minimise systématiquement sa contribution au film.

Si tu devais conseiller 5 films pour découvrir le phénomène  Slasher aux jeunes loups parcourant nos pages … Tu nous donnerais lesquels ? Et bien évidemment on aimerait savoir pourquoi ces choix ...

Je répondrais forcément Massacre à la tronçonneuse, Halloween, Scream, Black Christmas et Meurtres à la Saint-Valentin. Mais c'est un peu simple comme réponse. Disons plutôt Souviens-toi... l'été dernier, pour sa délicieuse touche fin des années quatre-vingt-dix. C'est peut-être dû à son casting, aux musiques du film ou au fait qu'il n'ait pas engendré de suite(s) convaincante(s), contrairement à Scream, mais c'est un film que je trouve profondément ancré dans cette période, un emblème, donc, du revival. Alice Sweet Alice, parce que c'est un film qui se permet beaucoup d'audace dans ses choix scénaristiques, en usant d'éléments assez polémiques. Le Sadique à la tronçonneuse, parce que le gore ne me fait pas toujours rire, mais quand ça marche, je trouve ce style d'humour décapant, que ce soit volontaire ou non. Récemment, à Rennes, c'est ce qu'une double séance m'a rappelé avec force (les deux Dead Snow). Ensuite, Cherry Falls, par solidarité avec le bouc émissaire du revival. Et Cold Prey, qui prouve que des slasher movies de qualité peuvent surgir partout et n’importe quand. Le genre nous réserve encore de bien belles surprises, j'en suis persuadé.

Sur ecranbis.com , on cause fatalement DVD et Bluray. Est ce qu'il y a encore des Slashers sur lesquels tu n'as pu mettre la main, faute d'édition disponible ?

Très peu, au final. Merci les gros sites de vente sur Internet. Ce n'est pas tous les jours que je vais leur lancer des fleurs, mais on doit quand même leur reconnaître cet énorme avantage. Aujourd'hui, si l'on cherche bien et que l'on est pas bloqué sur le format DVD, on peut trouver quasiment tous les films que l'on recherche. Parmi les slashers que j'ai choisi d'inclure dans le corps du livre, ceux que je n'ai pas pu visionner se comptent sur les doigts d'une main. Je pense ici à Crinoline Head ou Edge of the Axe, par exemple. Ces films sont tout simplement introuvables ou se vendent très cher, quand un exemplaire est en vente sur le Net. Après, pour des raisons financières et de goûts personnels, je me suis procuré pas mal de VHS. Mon magnétoscope n'a pas tourné à un régime pareil depuis 2001, date à laquelle je me suis payé mon premier lecteur DVD.

On a envie de te demander si tu comptes ré écrire sur le cinéma ? Et si oui, à quel radeau thématique vas-tu accrocher ta plume cette fois ?

Effectivement, depuis un an, je prépare un nouvel ouvrage sur le cinéma. J'ai commencé à rédiger une sorte de premier jet, depuis décembre. Ça avance plutôt bien. J'espère avoir la motivation d'aller jusqu'au bout, cette fois-ci aussi. Ce n'est pas toujours évident, lorsque l'on sait le peu d'éditeurs qui restent dans ce domaine, d'éditeurs qui ne rechignent pas à publier sur du cinéma de genre, je me dis que mes chances de ne pas avoir à recourir à l'autoédition, au final, sont minces, très minces. Sinon, C'est une fois de plus sur le cinéma d'horreur, mais pas seulement. Une forme plus moderne de l'horreur, un courant d'actualité. Voilà, je laisse planer le doute.

Je profite  de l'occasion pour te remercier, ainsi que tous ceux qui ont permis à ce livre d'exister : Christophe, la personne à l'origine de la couverture, Catherine, la correctrice, mais aussi ceux qui m'ont aidé récemment comme Thierry et Alexis (Crocofilms), Bruno (Metaluna store), Patrice (Hors-circuits), Mario (Le Club des Monstres), Christophe (Devildead), Jean-Michel (Oh My Gore!), Claude (EcranBis), Quentin (Strange-Movies), André (Sin’Art), Anto (Horror-ScaryWeb), Didier (Médusa), Isabelle (Avenue de l'Horreur)... sans oublier mes amis qui m'ont soutenu, ces dernières années, durant l'élaboration de cet ouvrage. Parmi les personnes citées, une mention spéciale à ceux qui tiennent bon, malgré les difficultés actuelles, pour continuer à faire vivre le cinéma de genre, et tout particulièrement le secteur de l'édition DVD.