Léolo : Critique et test DVD



Porté disparu en plein ciel au milieu de l'été 97, quelque part au dessus du grand nord québécois, Jean-Claude Lauzon aura juste eu le temps d'envoyer deux fusées dans l'œil la lune: «Un zoo la nuit» à la fin des années 80 puis au tout début de la décennie suivante l'indescriptible «Léolo» ou le destin d'un jeune garçon naviguant à la force de ses rêves entre douce folie et dure réalité. C'est ce dernier métrage qui vient enrichir l'éclectique sélection estivale de l'éditeur indépendant français Artus films....


Léo Lauzon, dit Léolo grandit avec son grand père, ses parents, son frère et ses deux sœurs dans un appartement vétuste de la banlieue pauvre de Montréal. Du vieux, la famille tient un curieux héritage, un petit grain de folie qui conduit chaque membre à occuper avec une régularité maladive les lits et la salle commune d'un hôpital psychiatrique. Dans cet univers bancal, tiraillé par les psychés déviantes de ses congénères, le petit garçon tente de se construire à s'accrochant à la bouée de l'imaginaire. Il s'invente un nouveau nom Léolo Lozone ainsi que des origines italiennes en prétendant être le fruit d'une procréation médicalement fortuite (sa mère serait tombée dans un bac de tomates contenant la semence d'un agriculteur sicilien). Alors que son grand-père, en pleine crise hystérique, tente de le noyer les 15 cm d'eau d'une piscine gonflable, il s'imagine au fond de l'eau découvrant un coffre à  trésor. Mais c'est surtout dans l'écriture et dans l'amour qu'il porte à sa jolie voisine, l'adolescente Bianca que Léolo trouve le moyen d'échapper à la triste réalité de son existence, à la marée des jours... et  par la même occasion à la folie qui coule déjà dans ses veines...


Sélectionné en 92 au festival de Cannes, on dit que «Léolo» ne passa à côté de la palme d'or que par les extravagances de son réalisateur. Le cinéaste se serait, toujours d'après la légende, autorisé à faire quelques avances à un des membres du jury, Jamie Lee Curtis en l'occurrence. La scène, surréaliste, se serait déroulée à l'Hôtel du Cap…  Après s'être présenté, Lauzon aurait déclaré «ce que le garçon fait avec un morceau de viande dans le film, je veux le faire avec vous». Cette invitation à prolonger le travail d'analyse sous les paillettes, mieux à appliquer la logique bizarroïde du film à la réalité du festival n'eut apparemment pas l'effet escompté... Et Léolo disparut du palmarès... Nous ne saurons sans doute jamais si l'épisode et ses tragiques conséquences appartiennent au factuel.... Ou plutôt nous ne saurons jamais de quel factuel (celui que nous partageons tous, celui que Lauzon partage avec nous ?) nous sommes en train de parler. Mais contre toute attente, l'anecdote apparaît comme le plus sur et précis résumé du film… Ou comment, entre folie et réalité, se dressent les remparts du rêve. 


Le propos se veut finalement plus philosophique que Freudien. Le rêve, instrumentalisé et non autopsié, l'imaginaire comme un outil de re-interprétation de la réalité et à la fois un réservoir dans lequel se déverse la folie jusqu'au débordement ultime. Moi je rêve donc je ne le suis pas... Sous entendu je ne suis pas dans la réalité, je ne suis pas fou, mais bien dans cet entre deux, ce seul et dernier territoire magique où s'imprime pleinement ma volonté. C'est aussi dans ce périmètre sans contours, ce container fragile, que ce situe le film de Jean-Claude Lauzon, à l'abri de la logique, du convenable, de la chronologie, du temps... Par l'écriture que «Léolo» découvre en lisant à la lumière du frigo un exemplaire de L'Avalée des avalés de Réjean Ducharme, graine littéraire (peut être pas si) mystérieusement échouée en ces lieux, le jeune garçon prend la barre d'un bateau ivre. Le récit ou la symbolique commune de l'acte artistique et sa finalité : être le créateur, au sens liturgique du terme, de sa propre existence. La recréer à l'infini avant le point final.


Le message est d'autant plus profond que sa forme se refuse à tout compromis. Léolo, le film, n'écoute que son maître, échappe en permanence à son spectateur comme à ses caresses. «Rien ne décide à part moi de ce que j'ai décidé de raconter et d'être» semble marteler Lauzon à chacun boucle de son histoire. Au risque de laisser quelques âmes aux portes d'une poésie sombre, sur les quais de la farce dysfonctionnelle, à l'entrée d'un conte cauchemardesque et mélancolique balayé par la folie. C'est à dire à la surface. Finalement plus exigeant qu'halluciné, plus radical
que barré, Léolo appelle à un abandon total....et peut être, sans doute même, à enlacer nos propres divagations jusqu'à ce que l'orchestre se taise. Jusqu'au moment où l'on ne rêvera plus …


Le disque :

Artus Films offre à Leolo une édition plutôt épurée. Le film est présenté dans son flat d'origine (Master de qualité honnête) accompagné d'une unique piste française (Québécois). En guise de suppléments : Un diaporama et une bande annonce.