Enemy : Critique et test DVD


Sorti au crépuscule du mois d'août dans les salles obscures françaises, Enemy aura réussi l'exploit de réveiller une critique hexagonale amorphe et d'embarquer quelques 200 000 spectateurs dans le trip cinématographique le plus cérébral du semestre. Dans l'apocalypse post réveillonnaire, Condor Entertainment offrira au dernier jet de Denis Villeneuve des éditions DVD et Bluray. Ça sort le 8 janvier 2015 mais Ecranbis.com est entré dans le labyrinthe avec un peu d'avance.



"Agrippant l'angoissant thématique du double, Villeneuve livre avec «Enemy» un origami métaphorique arty et tendance."

Adam (Jake Gyllenhaal), jeune professeur d'histoire introverti, entretient avec Mary (Melanie Laurent) une relation chaotique. Entre étreintes et abandons, dans le nid glacial d'un appartement sans décoration, le couple tente de résoudre l'équation de l'air du temps, l'addition de deux perspectives ne se croisant qu'au dessus de draps froissés. Jusqu'à une nuit où, sous l'alibi d'une odyssée cinéphilique, Adam échappe conjointement au sommeil et au chant de sa sirène pour découvrir, au détour d'un arrière plan, un visage lui semblant familier. Le sien ou plutôt celui d'Anthony. Un acteur de seconde zone. Une enquête aux frontières de la raison l'amène à entrer dans la vie de cet autre lui, au risque de perdre le fil de ses propres jours...


"Enemy ne serait alors que l’instantané d'une psyché finalement ordinaire, un inventaire classique des forces et pulsions en présence, une esthétisation scénarisée des mécaniques de l’âme."

Agrippant l'angoissante thématique du double, Villeneuve livre avec «Enemy» un origami métaphorique arty et tendance. On croit d'abord y voir un thriller s'acoquiner avec le fantastique, roucouler aux fenêtres du drame schizophrénique. Mais l'aspiration du cinéaste à désarçonner son spectateur, à contredire les interprétations qu'il a lui même lentement et soigneusement induites, ramène systématiquement la réflexion à un nouveau point de départ. Le récit se déplie et se replie, donnant à sa sculpture de papier une autre forme. Il faudra donc bien une heure et demie pour que le symbolisme acharné de l’œuvre n'écarte définitivement le réel (dont la folie du héros fait partie) comme champ d'investigation. Adam (à moins qu'il ne s'agisse d'Anthony) n'a pas une araignée au plafond et la ville cotonneuse dans laquelle il se débat ne peut être que son esprit... Une prison sans mur, dans laquelle des fragments de situations, de décors et de vécus partagent cellule et douche. Enemy ne serait alors que l’instantané d'une psyché finalement ordinaire, un inventaire classique des forces et pulsions en présence, une esthétisation scénarisée (ou une scénarisation esthétisée) des mécaniques de l’âme.


" Jake Gyllenhaal , décidément très à l'aise lorsqu'il s'agit de perdre pied, y exécute l'une de ses plus belles performances." 

Dès lors, toutes les interprétations enlacent le possible et embrassent le probable jusqu' à une curieuse vision arachnéenne du sexe faible, pointant avec ce qu'il faut de misogynie, cet autre qu'est la femme, tissant sa toile avec grâce et la plus effroyable détermination autour de l'homme. Et si la petite amie d' Adam, sa mère et la femme d'Anthony, n'étaient, à l'image de notre tandem de héros, conceptuellement qu'une ? La multiplication des soi en guise de cartographie psychologique, leur lutte acharnée en guise de récit ? A moins que nous n'ayons justement rien compris … Ou comment éclairer l’abîme avec une allumette que le vent ne cesse d’éteindre.


C'est clairement prétentieux, parfois un peu artificiel mais incontestablement réussi, extra-ordinairement exigeant mais si parfaitement assumé qu'on finit même par se demander si Villeneuve n'est pas allé trop loin. «Enemy» est un coffre dont le cinéaste a avalé la clé, condamnant le spectateur a y casser tournevis et pied de biche. Pire, obligeant la critique à expliquer le crochetage d'une porte sans serrure. Reste l'un des troublant casse-têtes de l'année, une œuvre sans doute faite pour survivre à son visionnage, à son époque et à ses interprétations. Pour ne rien gâcher, Jake Gyllenhaal , décidément très à l'aise lorsqu'il s'agit de perdre pied, y exécute l'une de ses plus belles performances.


Un œil sur le disque :

Condor livre "Enemy" dans une édition techniquement haut de gamme. Un beau master à l'image scopée (2.35) accompagnée de pistes audio Dolby Digital 5.1 française et anglaise (sous-titres français disponibles). Rayon supplément, nous avons droit à un document titré "Dans le labyrinthe d'Enemy" (10')  le dynamique François Theurel, créateur de la chaîne Youtube : Le fossoyeur de films, y livre quelques pistes de compréhension.